Spleen et idéal : XXXI – LE VAMPIRE

Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon cœur plaintif es entrée ;
Toi qui, forte comme un troupeau
De démons, vins [1], folle et parée,

De mon esprit humilié
Faire ton lit et ton domaine ;
— Infâme à qui je suis lié
Comme le forçat [2] à la chaîne,

Comme au jeu le joueur têtu,
Comme à la bouteille l’ivrogne,
Comme aux vermines [3] la charogne,
— Maudite, maudite sois-tu !

J’ai prié le glaive [4] rapide
De conquérir ma liberté,
Et j’ai dit au poison perfide
De secourir ma lâcheté.

Hélas ! le poison et le glaive
M’ont pris en dédain et m’ont dit :
« Tu n’es pas digne qu’on t’enlève
À ton esclavage maudit,

Imbécile ! — de son empire [5]
Si nos efforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire ! »

Georges Chelon 1997

[1] Deuxième personne du passé simple de venir.
[2] Homme condamné par la justice à des travaux forcés.
[3] Nom général donné aux insectes parasites, tels que les poux, les puces, les vers, etc.
[4] Epée qui est aussi le symbole de la justice divine.
[5] Au sens de : ascendant, emprise.