Spleen et idéal : XXXII – Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive…

Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive [1],
Comme au long d’un cadavre un cadavre étendu,
Je me pris à songer près de ce corps vendu
À la triste beauté dont mon désir se prive.

Je me représentai sa majesté native [2],
Son regard de vigueur et de grâces [3] armé,
Ses cheveux qui lui font un casque parfumé,
Et dont le souvenir pour l’amour me ravive.

Car j’eusse avec ferveur baisé ton noble corps,
Et depuis tes pieds frais jusqu’à tes noires tresses
Déroulé le trésor des profondes caresses,

Si, quelque soir, d’un pleur obtenu sans effort
Tu pouvais seulement, ô reine des cruelles !
Obscurcir la splendeur de tes froides prunelles.

Georges Chelon 1997

[1] Utiliser péjorativement le terme de Juif ou Juive n’était pas toujours une marque d’antisémitisme au temps de Baudelaire, et il désigne ici sans la nommer « Louchette », Sara, une prostituée qui louchait.
[2] Innée.
[3] Dans la mythologie romaine, déesses du charme et de la beauté.