Spleen et idéal : XLIX – LE POISON

Le vin sait revêtir le plus sordide bouge [1]
D’un luxe miraculeux,
Et fait surgir plus d’un portique [2] fabuleux
Dans l’or de sa vapeur rouge,
Comme un soleil couchant dans un ciel nébuleux [3].

L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,
Allonge l’illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté [4],
Et de plaisirs noirs et mornes [5]
Remplit l’âme au delà de sa capacité.

Tout cela ne vaut pas le poison qui découle
De tes yeux, de tes yeux verts [6],
Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers…
Mes songes viennent en foule
Pour se désaltérer à ces gouffres amers.

Tout cela ne vaut pas le terrible prodige [7]
De ta salive qui mord,
Qui plonge dans l’oubli mon âme sans remord,
Et, charriant le vertige,
La roule défaillante aux rives de la mort !

Georges Chelon 1997

[1] Lieu obscur et malpropre.
[2] Espace long ou circulaire, dont la couverture est soutenue par des colonnes.
[3] Synonyme de nuageux.
[4] Plaisir sensuel.
[5] Mélancoliques.
[6] Certainement Marie Daubrun, qui avait les yeux verts.
[7] Phénomène surprenant.