Edito DH n° 124 février 2009 : HPST ? Le geste auguste du législateur

La semaine dernière encore, une vingtaine d’hospitaliers m’ont demandé pourquoi DH Magazine ne prenait pas position, à l’instar de toutes les institutions et revues hospitalières, sur le projet de loi en cours de discussion parlementaire Hôpital, patients, santé et territoires.

D’abord DH Magazine n’est représentatif que de lui-même, modeste média parmi beaucoup d’autres. D’autre part, plusieurs de nos auteurs ont déjà livré leurs commentaires et trois autres le font dans ce numéro. Pour ce qui me concerne, au risque de choquer, j’affirme que ce projet de loi ne vaut pas toute l’encre et la parole dépensées à son propos. Je sais à quelle incompréhension je m’expose : « Comment ? Des grandes réformes hospitalières, on en connaît une tous les vingt ans – 1941-43, 1958-59, 1970, 1991 – et il faudrait ignorer celle-ci ? ». Je persiste et je signe.

Dans notre pays – est-ce la faute à ses institutions et à la délimitation entre loi et règlement ? [i] et dans notre secteur hospitalier en tout cas – est-ce la faute à la technostructure omnipotente ? les lois promulguées échouent à contrecarrer les tendances lourdes émanées du microcosme. Il m’en coûte d’exprimer cela, eu égard aux principes républicains et aux mécanismes démocratiques que je respecte. Mais ce sont les faits, ils sont têtus et éloquents :

Depuis 1970 les lois successives sacralisaient le service public hospitalier. Oui, mais voilà, le service public en général n’a plus la cote dans l’Hexagone, au point que partout où ils ont les coudées franches, les décideurs le détricotent, même si l’Union européenne, après avoir semblé le menacer, l’a accepté sous le vocable de « service d’intérêt général ». Bien sûr, ces errements ayant les conséquences que l’on voit, et la déraison financière menant à la débâcle que l’on vit, un jour reviendront en grâce de solides notions de puissance publique et de service public. Pas pour l’instant, en tout cas…

Les lois de 1970 et 1991 garantissaient liberté et autonomie pour nos établissements… Aimable plaisanterie ! Le dernier mot demeura au colbertisme aussi puissant qu’insidieux. Ce que l’Etat fut forcé de lâcher avec les lois Deferre de décentralisation, il s’obsède de le récupérer sur les collectivités publiques non territoriales. Ceux d’entre nous, médecins comme directeurs, qui exerçaient déjà il y a trente ans savent tout ce que nous avons réellement perdu.

Les mêmes lois promettaient une déconcentration des interventions de l’Etat pour plus d’efficacité et d’adéquation au terrain ; à cet égard, les ARH suscitèrent un espoir et les DARH eurent effectivement une réelle marge d’autorité… pendant trois ans. Lors, que seront les ARS telles que les fera, non pas cette loi, mais le dur désir de durer du jacobinisme à front de taureau ?

Des centaines de décideurs hospitaliers crurent à la promesse de la loi de 1970 d’assouplir les règles de gestion de l’hôpital public (et ceci, « dans le délai d’un an » SVP !). Est-il là nécessaire, chers collègues, de tourner encore le fer dans ce qui n’est plus une plaie, mais une escarre profonde ?

Puis nous fûmes séduits par la politique de projet et de contrat emblématique de la loi de 1991 : contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, contrats internes, fondés sur des projets (ascendants bien sûr) : de service, médical, de soins, social, d’établissement… Mais peu d’entre nous eurent la chance de conclure de vrais CPOM librement négociés et équilibrés, entre signataires égaux en droits et en devoirs. Quant au projet d’établissement, souvent sa conséquence indirecte fut de permettre à la tutelle d’élargir son champ d’intervention : certaines orientations dispensées jusqu’alors d’une délibération approuvable devaient désormais s’inscrire dans le projet d’établissement… soumis lui à approbation !

Alors… La communauté hospitalière de territoire constituera-t-elle l’opportunité pour nos hôpitaux de mener entre égaux une vraie politique de groupe, ou un « machin » étatisé via une ARS croupion et un chef de CHT docile ? La mission de service public de santé élargira-t-elle le SPH et obligera-t-elle les cliniques privées à jouer le jeu, elles qui jusqu’à présent font leur cueillette d’activités rentables, ou signera-t-elle l’émiettement du service public organique ? [ii] Quant aux « pouvoirs nouveaux » dévolus aux directeurs, ce serait une rupture de restituer aux établissements une partie des compétences qu’on n’a cessé de leur ôter ! On n’aura sans doute qu’un rééquilibrage a minima des pouvoirs localement résiduels.

Ne croyez pas que pour une fois je cède au pessimiste : je considère simplement qu’il faudra que le balancier, dans notre domaine comme ailleurs, aille encore un peu plus loin pour que sa course s’inverse enfin.

 


[i] exemple achevé de la déliquescence de la séparation des pouvoirs : le 12 mars, alors qu’HPST est en plein débat parlementaire, le Président de la République convoque à Clairefontaine quelques centaines d’hospitaliers pour leur délivrer sa lecture du projet et la manière dont il entend le voir aboutir et appliquer…

[ii] cf. l’excellente analyse de Jean-Marie Clément dans La Gazette de l’Hôpital, n° 78 – février 2009