Taous Ait Mesghat est une dentiste Algérienne, plus précisément Berbère ; vous devinez que je ne l’évoque pas ici pour ses compétences odontologiques mais pour son talent littéraire ; car Taous Ait Mesghat est écrivaine et poétesse. A l’heure où la polémique oppose les dirigeants politiques algériens et français à propos entre autres de l’emprisonnement de Boualem Sansal et de l’interdiction en Algérie des œuvres du Prix Goncourt 2024 Kamel Daoud, je me sens tenu de rendre hommage à cette femme.
D’autant qu’elle n’est pas (sauf erreur de ma part) publiée en France !
Cela m’oblige donc, et avec plaisir, à vous livrer de larges extraits de sa versification pour vous en montrer le talent :
En 2017 pour protester contre l’obscurantisme :
La vie t’apprendra que les assassins des âmes d’enfants sont souvent pour les leurs de bons parents.
Que la mûre bienveillance d’un proche censée te guider est parfois celle d’un prédateur avide d’innocents.
Que la main qui se tend pour te sortir d’un gouffre peut être cette même main qui pousse vers le fond.
La vie t’apprendra aussi que le bien n’a pas de couleur précise et qu’on a vu le mal s’habiller en blanc.
Que celui qui fait le serment de soigner tes maux douloureusement inoculera un létal poison.
Que certains ne complimentent ton sourire que pour couvrir de tristesse plus tard ton visage rayonnant.
La vie t’apprendra ainsi qu’il n’y a pas de vérité absolue et que les anges flirtent avec les démons.
Que les apparences sont souvent trompeuses et que nul ne doit juger à sa couverture un roman.
Qu’on peut tout ignorer d’une personne tout en partageant son lit pendant plus de vingt ans.
La vie t’apprendra qu’avec de l’argent tu construits de hauts murs et qu’avec de l’amour tu bâtis des ponts.
Que plus les murs vieillissent plus ta somptueuse demeure devient ta personnelle prison.
Que tout s’achète et se vend dans ce monde mais sans prix restent les purs sentiments.
La vie t’apprendra pareillement que pour quelques plaisirs éphémères on piétinera ton cœur aimant.
Que ceux dont tu feras la première de tes priorités ne feront de toi que la dernière de leurs options
Que les liens que tu tisseras patiemment avec tendresse peuvent devenir la corde de ta pendaison.
La vie t’apprendra également que tu peux tout donner à un être et que ton tout ne soit pas suffisant.
Que celui qui est habitué à toujours prendre ne peut pas comprendre la signification du don.
Que plus tu te montreras indulgent moins on estimera nécessaire de demander ton pardon.
La vie t’apprendra bien-sûr que les paroles ne sont que littérature si elles ne sont pas suivies d’actions.
Que les beaux parleurs d’auditorium ne sont pas forcément détenteurs de véritables arguments.
Qu’on écoute parfois religieusement des silences plus éloquents que mille dissertations.
La vie t’apprendra finalement que plus tu apprends d’elle et moins tu comprends les gens.
Que ce qui ne te tue pas blesse, écorche, saigne, te détruit et ne te rend pas plus fort forcément.
Mais que rien ne sert de répondre au mal par le mal si c’est pour ressembler aux méchants.
La vie t’apprendra beaucoup de choses mais jamais tu ne retiendras ses leçons.
En décembre 2017, à Sétif, une statue représentant une femme nue fut vandalisée par un obsédé qui à coups de burin lui détruisit les seins et le visage avant d’être arrêté par les personnes présentes. Taous Ait Mesghat lui a adressé ce poème :
Au nom de tous les seins
Tu ne sais pas ce que ça fait quand un sein durcit sous la caresse de tes doigts , non tu ne sais pas ….
Tu ne connais pas cette sensation divine quand un téton pointe pour toi , non tu ne connais pas …
Tes lèvres assoiffées de plaisir n’ont jamais goûté à la douceur de la soie , non elles ne l’ont pas …
Ton regard ignore la splendeur d’un galbe arrondi qui s’offre à toi , non il ne connait pas ….
Aucune femme amoureuse n’a frémi de désir sous l’emprise de tes bras , non je ne le pense pas …..
Pauvre diable que la chair renie et qui vient se venger sur moi , Vénus en pierre qui ne se défend pas ….
Moi femme fontaine qui te rappelle ton pitoyable état , toi homme aride qui ne suscite aucun émoi ….
Moi arrogante de beauté dans la chaleur et le froid , toi mesquin de laideur dans ta rage de forçat ….
Crois-tu que sous tes coups barbares tu me tueras ? Penses-tu qu’en me brisant la femme mourra ?
Sous d’autres mains d’artistes ma poitrine renaîtra , mon visage sourira et la femme vibrera .
À nous l’extase de l’amour et la joie ; à toi la torture de la haine et l’effroi .
En 2021, pour traiter comme il convient un autre intégriste misogyne obsédé :
Puisque dévoiler mes jambes cause des tremblements de terre et mes cheveux, cyclones et vents froids.
Puisqu’un bout de ma gorge fait monter la mer et des terrains glissent au son de ma voix.
Puisque mon sein qui allaite provoque famine et misère et que mes bras nus réchauffent le climat.
Puisque mon sourire déstabilise l’univers et réveille tous les instincts bas.
Puisque je suis derrière toutes les catastrophes naturelles, alors crains moi.
Car force divine je suis et le misérable mortel, c’est toi. »
Et le 8 mars 2018 elle avait livré cette magnifique déclaration :
mars …..ou crève
Gardez votre demi-journée de permission de sortie de prison, vos fleurs aussi plastiques que vos intentions, vos gâteaux aussi rassis que vos arguments, vos tarifs de promotion, vos cadeaux de consolation et vos crooners démodés que vous dépoussiérez pour l’occasion.
J’ai passé l’âge de me faire taire avec un bonbon.
Si cette journée est celle de la femme c’est que je n’en suis pas une vraie, je refuse d’être un corps qu’on instrumentalise pour endoctriner, je ne porterai pas de tenue traditionnelle dans la rue pour folkloriser mon identité, je ne balancerai pas mes hanches pour faire croire à ma liberté, je ne marcherai pas une fleur à la main pour donner l’illusion d’exister…. l’espace d’une demi-journée.
Je ne suis pas un bien de la communauté qu’on cache ou qu’on exhibe, habille ou déshabille au grès des convictions, qu’on brandit comme étendard politique ou de religion, qu’on utilise comme chair à pâté pour déchaîner les passions et détourner l’attention sur les véritables tares de la nation.
Ne me souhaitez pas bonne fête, ce n’est pas une fête pour moi ; c’est la journée commémorant la lutte pour mes droits. Vous vouliez que je fasse entendre ma voix ? Prenez garde, ce que j’ai à dire vous ne l’aimerez pas : je veux tous mes droits.
Je ne suis pas une femme selon vos critères de féminité, je suis un être humain entier sans aucune infériorité ; je suis la moitié de la société qui enfante l’autre moitié, on ne me célèbre pas une demi-journée pour me mépriser le reste de l’année.
Le 8 mars comme tous les jours, je vais travailler et continuer à lutter.
8 janvier 2025