La mort : CXXV – LE RÊVE D’UN CURIEUX

À F. N. [1]

Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire : « Oh ! l’homme singulier ! »
— J’allais mourir. C’était dans mon âme amoureuse,
Désir mêlé d’horreur, un mal particulier ;

Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse [2].
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse ;
Tout mon cœur s’arrachait au monde familier.

J’étais comme l’enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau [3] comme on hait un obstacle…
Enfin la vérité froide se révéla :

J’étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M’enveloppait. — Eh quoi ! n’est-ce donc que cela ?
La toile [4] était levée et j’attendais encore.

Georges Chelon 1997

Félix Nadar, photo par lui-même

Charles Baudelaire, 1855 caricatures par Félix Nadar

[1] Félix Nadar, pionnier de la photographie, caricaturiste, ami de Baudelaire.
[2] Qui tend à la faction, à la révolte.
[3] Le rideau du théâtre qui ne s’est pas encore levé.
[4] Le rideau du théâtre.