Fleurs du mal : CXIII – LA FONTAINE DE SANG

Il me semble parfois que mon sang coule à flots,
Ainsi qu’une fontaine aux rhythmiques sanglots.
Je l’entends bien qui coule avec un long murmure,
Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure.

À travers la cité, comme dans un champ clos,
Il s’en va, transformant les pavés en îlots,
Désaltérant la soif de chaque créature,
Et partout colorant en rouge la nature.

J’ai demandé souvent à des vins captieux [1]
D’endormir pour un jour la terreur qui me mine ;
Le vin rend l’œil plus clair et l’oreille plus fine !

J’ai cherché dans l’amour un sommeil oublieux [2] ;
Mais l’amour n’est pour moi qu’un matelas d’aiguilles [3]
Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !

Georges Chelon 1997

[1] Qui séduisent par de belles mais fausses apparences.
[2] Favorisant l’oubli.
[3] Métaphore pour douleurs et souffrances.