2019 02 01 : Ce que je dois à Elie Faure

Grâce au Livre de poche, collection abordable pour les lycéens désargentés, j’ai eu accès dès 1964 aux ouvrages essentiels d’Elie Faure : L’histoire de l’art en cinq volumes et L’esprit des formes en deux.

Ce que je lui dois ? Tout.

Comme j’étais nul, rigoureusement nul en dessin et en peinture, j’aurais pu me détourner de ces arts ; je fréquentais un peu les musées, les expositions et les galeries, mais c’était uniquement avec le regard attiré par le côté décoratif, anecdotique ou historique des œuvres.

Or la singulière réflexion sur l’art d’Elie Faure ‑ à ma connaissance il n’y en eut aucune autre de cette intensité – m’a enseigné en termes intelligibles et accessibles qu’au-delà justement des dimensions strictement esthétique, picturale, plastique, architecturale, historique des œuvres comme témoins et jalons de nos sociétés, il y a en art quelque chose d’autre, de beaucoup plus intense : l’esprit des formes, comme son titre l’indique superbement.

Elie Faure m’ouvrit l’appétit et l’accès à des livres plus arides et surtout à la compréhension intellectuelle qui va de pair avec l’émotion sensible.

Il me fit échapper aux conceptions alors très en vogue, misérablement déterministes, grossièrement pseudo-marxistes ou prétendument structuralistes, qui ne voyaient dans l’art qu’une expansion parmi d’autres de la vie sociétale et de l’activité sociale.

A cet égard, j’avais soigneusement indexé la page du tome II de L’esprit des formes où il proclamait :

« Si l’ordre politique et moral peut être l’occasion de l’œuvre d’art, il n’est jamais, en aucun cas, sa cause déterminante. Il est, comme elle, l’effet de forces antérieures qui les baignent et les traversent l’une et l’autre pour leur survivre et s’incarner plus loin en des formes renouvelées. » [1]

En dire tant, si clairement, en si peu de mots !

J’ai su, bien longtemps après, qu’il avait eu un vif et tenace désaccord avec le P.C.F. et notamment avec Louis Aragon quant à cette conception qu’ils jugeaient idéaliste, voire « mystique ».

Si vous ne devez lire qu’un seul ouvrage d’histoire de l’art, c’est celui-là qu’il vous faut.

1er février 2019

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[1] page 265 de la réédition Folio de 1991