2019 02 01 : Actualité de Frantz Fanon

Un phare de ma jeunesse ; pourtant quand je le lus en 1965 (grâce à l’inoubliable éditeur François Maspero) il était déjà mort, très jeune, depuis quatre ans. Mais son œuvre était aussi flamboyante que son parcours : résistant, médecin psychiatre, Martiniquais, anticolonialiste, acteur de l’indépendance algérienne…

Le recueil de ses œuvres a été réédité il y a dix ans, qui plus est avec une excellente préface du philosophe camerounais Achille Mbembe. Alors ne vous refusez pas la lecture de ce penseur trop oublié, du moins en France.

Frantz Fanon : belles pages, grandes idées, mais aussi, anecdotiquement, vieux souvenir : car il me valut posthumement mon premier pugilat politique.

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Faut dire que je l’avais involontairement cherché, c’était en juin 1967, en allant distribuer un tract qui, au recto célébrait la mémoire de Fanon, et au verso apportait un soutien au GONG (Groupe d’organisations nationales de la Guadeloupe) et aux ouvriers en grève victimes d’une répression qui fit là-bas une centaine de morts ! (c’était aussi ça, le pouvoir gaulliste).

Et moi donc d’aller distribuer ce tract, tout seul ; et où ça ? Sans m’en rendre bien compte, dans les environs d’une caserne ! Un sous-off passant là le prit mal et me boxa. C’est depuis ce temps que je voue une sympathie appuyée mais distante aux diverses engeances d’adjudant Kronenbourg…

Ce fut l’une de mes très rares bagarres, car je n’en raffolais pas ; quatre en tout, pas une de plus :

► La seconde survint avec des flics. Un jour de 1969, un ouvrier du bâtiment mentalement perturbé, proférant des propos décousus, agitait à sa fenêtre une petite carabine de fête foraine 22 LR monocoup chambrée à munitions bosquettes, donc quasiment inoffensive. Peu importe : après les sommations de pure forme, ils le flinguèrent. Alors nous répandîmes dans les jours suivants tracts et affiches « flics assassins ». La suite on l’imagine : un soir rentrant chez moi, quatre ou cinq civils me dérouillèrent en silence et en veillant à ne pas laisser trop de marques.

► La troisième baston, ce fut en 1970, an I du règne de Georges Marchais, un guet-apens de permanents du P.C.F. (lequel ne nous aimait pas beaucoup puisque pour lui nous étions « des provocateurs à la solde du pouvoir gaulliste »). Un soir de tractage dans la plus grande cité de la ville, nous étions trois dont deux jeunes femmes : ils nous coincèrent et nous dérouillèrent ; c’était dans ce quartier et dans ce temps où Nadine Morano déjà commençait à sentir la m… (uniquement dans ses couches à l’époque).

► La quatrième fois, j’étais dans les rangs des assaillants (je l’avoue avec un zeste très mince de contrition) : à la fac de droit d’Assas, repaire des fachos du GUD et d’Ordre nouveau, nous avions (en représailles de leur innombrables agressions antérieures, je le précise) complètement dévasté leur stand de propagande. Peut-être y avait-il ce jour-là, parmi leurs sbires un peu cabossés par nos soins, l’un quelconque de leurs leaders : Longuet, Madelin, Novelli, Goasguen ou Devedjian ? Je ne saurais dire, je n’ai pas la mémoire des visages.

Souvenirs bien défraîchis aujourd’hui ; tandis que ce qui ne l’est pas, c’est l’analyse lucide et la prose acérée de Frantz Fanon.

Son livre Les Damnés de la Terre fut longtemps interdit. Pourtant Fanon acceptait la violence libératrice des colonisés non comme une fin en soi mais uniquement lorsque c’était le seul moyen de sortir de la colonisation. Elle n’est alors en quelque sorte qu’une contre-violence, une légitime défense contre celle exercée continument par le système colonial intrinsèquement violent.

Je me souviens, nous n’étions que quelques-uns, avant la tempête de 1968, à vouer une plus grande admiration à Fanon qu’à Che Guevara. A juste titre selon moi, car relisez les écrits de Fanon et les textes ou déclarations de Guevara : vous constaterez lequel des deux est resté actuel…

1er février 2019