Le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé hier soir la création d’une liste d’individus qui seraient privées du droit de participer à une manifestation sur la voie publique.
Sur le fond bien sûr, les citoyens partagent la préoccupation de mieux protéger le droit de manifester contre ceux qui l’utilisent pour casser, vandaliser, piller, causer des dommages… dont la réparation incombe, in fine, soit à des commerçants innocents, soit à l’ensemble des contribuables via l’Etat, les communes ou les assureurs.
Les citoyens ne peuvent que blâmer les brutalités agressives de certains manifestants contre les forces de l’ordre, avec autant d’indignation qu’ils n’en éprouvent pour les violences de certains policiers. D’autant plus que ces violences ‑ c’est devenu une tradition journalistique depuis 20 ans ‑ occupent alors la place principale et excessive dans les journaux télé du soir et les journaux papier du matin, au détriment du fond et des revendications en jeu.
Donc, je n’ai pas d’opposition au principe d’interdire à certains personnages le droit de participer à une manif. Ce qui préoccupe le juriste que j’ai été, c’est toutefois : qui va infliger cette interdiction et dresser cette liste nominative ?
Si c’est l’autorité administrative ou policière, nous ne serions évidemment plus tout-à-fait dans un Etat de droit, puisqu’il s’agirait d’une décision extra-judiciaire venant entraver ou restreindre une liberté fondamentale. Et même si une voie de recours était aménagée, cela atténuerait à peine l’atteinte au droit, puisque l’interdiction serait prononcée a priori et son annulation ne surviendrait qu’a posteriori.
La solution pratiquement efficace et juridiquement incontestable est pourtant à portée du législateur, car elle ne ferait qu’utiliser une catégorie pénale existante et non contestée : la peine complémentaire prononcée à la latitude du juge [1].
Depuis que la République existe, les peines complémentaires sont nombreuses et variées : interdiction de séjour en tel ou tel lieu, interdiction professionnelle, privation des droits civils, sociaux ou familiaux, inéligibilité, etc.
Donc le législateur pourrait, sans risque de censure du Conseil constitutionnel, compléter les différents articles du code pénal réprimant les délits ou crimes commis dans le contexte d’une manifestation par un paragraphe assortissant la peine principale d’amende ou de privation de liberté d’une peine complémentaire d’interdiction ultérieure de manifester, selon un quantum de xx à yy mois ou années.
Et dès lors, le principe fondamental que la privation d’une liberté est du ressort de la seule autorité judiciaire, et celui non moins fondamental de proportionnalité et d’individualisation des peines, seraient respectés.
8 janvier 2019
[1] Pour les non juristes, je précise que la peine accessoire (automatique) est prohibée depuis 1994, à cause précisément de son automaticité, par le code pénal qui dans son article 132-17 énonce qu’« aucune peine ne peut être appliquée si la juridiction ne l’a expressément prononcée ».