2017 08 22 : Avec le temps, les écrivains… 4 Alberto Moravia

Cet été, je me suis dit « je vais relire les romanciers italiens que j’ai aimé dans ma jeunesse et n’ai jamais refréquenté depuis ». Pas par nostalgie nunuche mais par curiosité, pour voir comment mon opinion a évolué.

Car si nous pouvons jauger assez lucidement la transformation objective de notre physionomie ou de notre condition physique, il est par contre difficile de mesurer le changement de nos opinions du fait que la réminiscence de nos conceptions originelles a elle aussi vieilli.

Alberto Moravia, cette icône.

A la fin des années 60 Moravia était mon romancier préféré, je m’étais engoué de Moravia comme j’étais déjà enthousiaste de Dostoïevski, Maupassant ou Stendhal.

Que relire de lui ? J’avais l’embarras du choix puisqu’il a produit une trentaine de romans et recueils de nouvelles et j’avais dû en lire environ la moitié. Sans hésitation j’ai retenu Le mépris qui m’avait laissé la plus forte impression.

Alors, triste déception : relisant Le mépris j’eus la sensation d’ouvrir une trop vieille bouteille d’un vin qui n’était pas de garde, qu’il eût donc fallu boire jeune avant qu’il n’ait révélé ses faiblesses et amplifié ses déséquilibres. Sauf que plus j’avançais dans ma relecture, plus je ressentais que si je ne retrouvais nulle saveur à Moravia, ce n’était pas parce que le flacon s’était éventé, mais parce qu’il n’y avait rien dedans qui soit de grande tenue.

Le style ? Je le trouve maintenant plat, froid et empesé.

La morale ? Faussement libérée, elle ne me paraît plus a posteriori qu’un moralisme du transistor, de la Fiat 500 et du skaï (vous n’avez pas connu ce simili-cuir pour fringues et meubles bon marché), donc une pâle anticipation du moralisme 2.0 d’aujourd’hui. Un pseudo-humanisme existentialiste de petit-bourgeois incomplètement libéré du catholicisme romain qui lui colle encore aux semelles et ailleurs, et qui ne masque pas, mais alors pas du tout, un égocentrisme total.

L’idéologie, les « valeurs » comme il faut dire maintenant ? Aucune ; ses personnages n’ont évidemment ni engagement politique ou syndical, ni vie sociale ou collective, ils végètent dans un individualisme annonciateur du consumérisme forcené des décennies suivantes.

Vous me répondrez que je m’en prends là, non aux idées de l’écrivain lui-même, à ses opinions, mais au milieu social étriqué qu’il disséquait au scalpel de sa plume distanciée. Je ne crois pas, car Moravia – lisez-le et relisez-le encore, même avec indulgence ‑ ne semble à aucun moment décrire cet égocentrisme de façon critique ou féroce mais plutôt avec une discrète complaisance.

L’intrigue ? Elle se traîne poussivement et l’épilogue se devine… Inutile de dire que les passages érotiques qui incitaient nombre d’entre nous à se précipiter sur les ouvrages sulfureux de Moravia feraient aujourd’hui pouffer le plus attardé des élèves de l’enseignement catholique. Car pour avoir pimenté ses récits de ces péripéties démoniaques on se sent envers lui porté à l’indulgence comme on le serait de l’autre côté de la grille d’un confessionnal ; et c’est par pur principe charitable que l’on infligerait à Alberto, en vénielle pénitence, un petit Pater et un bref Ave.

Pour ne pas rester sur cette mauvaise impression j’ai relu son recueil de nouvelles, Nouvelles romaines. Là, soulagement, le genre a mieux résisté au temps.

Alors j’en retiens, avec le recul de 50 ans, que sa femme, Elsa Morante, fut une plus grande écrivaine que lui… mais j’en reparlerai.

22 août 2017