2017 08 21 : Antonello de Messine

Quiconque porte comme moi la peinture italienne de la Renaissance au pinacle, s’il passe par Milan doit alors aller, sans excuse possible, visiter la pinacothèque de Brera.

C’est un peu l’équivalent de notre Louvre (sous réserve : je ne connais ni les Offices de Florence ni les musées du Vatican, excusez du peu !). Curieusement, dans la cour, un Napoléon Ier vous accueille en majesté… car c’est lui qui fonda le musée (comme quoi ce ne fut pas seulement un pillard, il consentit à laisser certains chefs-d’œuvre dans leur pays d’origine).

Plusieurs dizaines de salles s’offrent à votre visite, bien organisées. Et pour quels peintres ! Les plus grands de cette période du Quattrocento et du Cinquecento qui en compta des centaines : Piero della Francesca, Mantegna, Botticelli, Le Caravage, Raphaël, Titien, Bronzino, Menzocchi, Le Tintoret, Véronèse, Procaccini

Et même quelques modernes comme Modigliani.

Alors trois heures s’écoulèrent mais trois heures c’est trop peu pour contempler à loisir toutes ces merveilles ; trois heures que je ne regrettai pas d’avoir soustraites à cette après-midi milanaise ensoleillée. Et puis venait l’heure heureuse du Negroni.

Une fois encore j’avais éprouvé combien il est fascinant de contempler en vrai des tableaux que l’on aime depuis des décennies en ne les ayant vus des dizaines de fois que dans des livres, des revues ou sur Internet. La sensation est forte. Pourtant… pourtant…

Pourtant aucune de ces toiles si sublimes soient-elles ne surpassa en bouleversement celui que j’avais éprouvé jeune homme devant un simple portrait. Non ce n’était pas la Joconde ! Ce portrait, je m’agace encore un peu de ne pouvoir retrouver où exactement je l’avais contemplé. Car le tableau réside ordinairement à Palerme en Sicile où je ne suis jamais allé. A-t-il voyagé (il est facilement transportable, 45 cm x 35 cm) pour une exposition temporaire, à Paris ou ailleurs ?

J’avais donc reçu un véritable choc, ce qui m’arrive peu souvent, à la vue du portrait que voici :

Je n’étais pas plus connaisseur en peinture et en histoire de l’art qu’aujourd’hui, mais j’éprouvai violemment que cette œuvre de 1475 signait un tournant avec toute la peinture précédente : l’émotion, le sentiment, n’émanaient plus du Divin, du Très-Haut, d’une Allégorie grandiose ou d’un Evènement terrible, mais d’une personne ordinaire, marquant l’irruption de l’individu comme sujet dans l’art italien.

Personne ordinaire ? Pas vraiment puisqu’il s’agit de la Vierge Marie. Mais visiblement cette Marie personne humaine du petit village de Nazareth n’est pas encore entrée dans le rôle qui sera le sien pour vingt siècles au moins.

Et le titre du tableau en dit encore davantage : La Vierge de l’Annonciation. Donc Marie est en train d’apprendre par l’ange Gabriel, messager de Dieu, le destin qui lui est dévolu pour faire advenir le Christ en ce bas monde… Alors on lit tout dans ce regard : le trouble d’avoir à enfanter le Messie, l’inquiétude d’avoir à tenir ce rôle, la surprise d’avoir été choisie, mais enfin l’humilité et la soumission.

Que dire de plus ? Allez à Brera, aux Offices, au Vatican, au Prado, au Louvre, où vous voudrez. Ou sur Internet. Passez en revue toutes les Marie, Vierge, Madone peintes par les meilleurs peintres dans cette période-là. Et vous admettrez comme moi l’incroyable modernité de ce portrait de 45 cm x 35 cm. Ah, j’allais oublier, son auteur ? Antonello de Messine 1430 – 1479.

21 août 2017