2015 09 07 : Alors Jean-Sébastien Bach, ça vous inspire ?

L’autre soir, après un beau concert d’œuvres pour clavier de Franz Liszt, musique à programme s’il en est, où toute oreille même peu exercée décrypte sans difficulté l’intrigue dramatique, les rebondissements et la fin, une amie et moi échangions sur ce genre de musique et les évocations qu’elle peut susciter au-delà de la sensibilité musicale.

Elle m’expliquait que si Liszt était l’illustrateur des chevauchées, des villages d’Europe centrale ou encore des retraites spirituelles en Italie, pour elle les plus évocateurs du sentiment amoureux étaient Mozart et Chopin.

Je lui répondis que je ne partage pas cette impression : Mozart fut certes inégalé dans le marivaudage intelligent et subtil, surtout dans ses opéras. Chopin était tout entier habité par le romantisme, la mélancolie, les tristesses et il ne m’a jamais semblé que sa musique traduise davantage que des élans amoureux très sublimés pour ne pas dire platoniques.

Mais alors, me demande mon amie : l’opéra italien ?

Certes là on a l’embarras du choix, de l’amour au quintal, avec les déchirements, les séparations, les amours impossibles entre amants de classes ou conditions différentes, malmenés par les familles, les puissants ou les conventions, prématurément abrégés par les agonies, les poisons, les dagues, les toux… Toute la dramaturgie italienne s’en donne… à cœur joie !

Mais est-ce une traduction vraiment crédible des amours véritables, évènements généralement simples, tranquilles… et heureux ? Et puis, tellement soumise au conformisme des temps (car l’opéra italien, rebelle aux mœurs de l’aristocratie finissante, fut presque toujours respectueux du paradigme amoureux de la bourgeoisie triomphante).

Progressisme plus que prudent : la dimension physique et sensuelle de l’amour est totalement absente de l’opéra italien, à tel point qu’il faut souvent l’imagination (souvent excessive et lassante, d’ailleurs) des metteurs en scène contemporains pour y instiller un peu d’érotisme.

Mais alors, ne demande mon amie : quel type de musique selon toi évoque et magnifie l’amour-érotisme ? La musique orientale ? Certaines chansons dites de variétés ou des musiques d’autres latitudes ?

Le Brésil, le Brésil évidemment était à deux doigts de venir sur ses lèvres, mais il n’en eut pas le tempo car ma réponse provoqua visiblement la sidération de mon interlocutrice :

« L’auteur classique le plus érotique, pour moi ? Jean-Sébastien BACH »

Oui Jean-Sébastien Bach, pas celui des Passions, des Cantates, des Variations Goldberg ou du Clavier bien tempéré : là évidemment il exprimait des sentiments et proposait des formulations d’un autre ordre que charnel. Mais écoute sans préjugé les six sonates piano-violon (BWV 1014 à 1019). J’y ressens quant à moi à chaque audition un couple faisant l’amour longuement, avec l’enlacement voluptueux, à la fois spontané… et savant du piano et du violon, qui n’en finissent pas de se prendre et de se déprendre. Tout est intensément suggéré et en même temps pudiquement allusif. Voilà pourquoi cette musique n’a pas besoin de Viagra.

« Oui mais, me dit-elle un peu intriguée par mon exposé, mais Jean-Sébastien Bach, le manécantier, l’organiste, le maître de chapelle, le Cantor, confit toute la journée en églises et sacristies, ça ne concorde pas tellement avec un profil d’érotomane musical. »

Ma réplique était prête : « Pas de souci pour le cher grand homme : Bach eut vingt enfants de ses deux mariages successifs, donc sa propension à la chose n’était sans doute ni tempérée ni contrapunctique ! »

Quelques semaines plus tard mon amie avait écouté attentivement les sonates piano-violon et elle convint que j’avais raison.

Conviction profonde ou politesse prudente face à un pseudo mélomane aux interprétations aussi… baroques ?

Sonate clavier-violon n°5 BWV 1018 III Adagio – Glenn Gould & Jaime Laredo – 1977

7 septembre 2015