2014 01 01 : Wiener Philharmoniker, Barenboïm, mes préjugés… et mes vœux 2014

Pour rien au monde je ne manquerais, depuis 25 ans, le concert de Nouvel An de l’Orchestre philarmonique de Vienne.

Depuis 25 ans seulement, direz-vous ? Ben oui, je dois avouer que les années antérieures, je fus prisonnier d’une certaine prévention à l’encontre de l’Autriche.

Mes séjours d’adolescent en effet m’avaient donné à connaître un visage mesquin de ce pays, qui pour des raisons géopolitiques fut ménagé par les Occidentaux après la Seconde Guerre mondiale : sa dénazification fut très superficielle (qui a oublié Kurt Waldheim ?). Quand je m’y rendais, nous Français étions regardés un peu de travers, comme les « occupants » que nous n’avions pourtant été que deux ans seulement.

J’avais ainsi le souvenir détestable de ces paysans, chez qui je fis les récoltes, et qui entre eux et entre deux bouchées de saucisse parlaient à voix basse (mais je comprenais un peu, car alors je pratiquais mieux la langue allemande) de leur nostalgie du Großdeutsches Reich ; et qui méprisaient, à voix haute cette fois, ces « arriérés » de Tchèques, de Slovaques, de Hongrois… Oser parler ainsi, eux, bouseux du Vorarlberg qui n’avaient pas la moindre idée ni de Karlův most, Malá Strana, Hradčany, Staré Město, Vyšehrad, ni de Stará radnice, Petrov, Špilberk, ni du Slovenské národné divadlo, de Mirbach, encore moins d’Ervin Szabó ou de Loránd Eötvös ! J’en conçus un mépris durable pour ces péquenots et, erreur de jeunesse, pour les Autrichiens en général.

J’ignorais bien sûr, dans mon inculture, que le Vorarlberg n’est que la petite extrémité de l’Autriche, que ce Land aurait d’ailleurs préféré devenir suisse, qu’il ne représente que 4 % des Autrichiens. Que Vienne fut deux siècles durant, après la Renaissance Italienne, la capitale culturelle de l’Europe, n’en déplaise à notre vanité française ; que Salzbourg, ah ! Salzbourg ! fut la patrie de Mozart.

Je n’avais absolument pas songé que si, à la fin du XIXe siècle, grâce ou à cause de Bismarck, le centre de gravité du monde germanique n’avait pas basculé de Vienne à Berlin (funeste bataille de Sadowa, annonciatrice de notre défaite en 1870), le destin de l’Europe aurait pu être différent. Un monde germanique viennois n’eût sans doute pas évité la guerre de 14-18 (dictée par l’impérialisme financier et déclenchée autant par la Triple-Entente anglo-franco-russe que par la Triplice austro-turco-allemande) mais il l’aurait abrégée (on se souvient que dès début 1917 l’empereur Charles souhaitait une paix séparée) ; et il aurait certainement empêché la venue au pouvoir de son infâme rejeton Adolf Hitler… donc ni Anschluss ni IIIe Reich.

C’est vers 1985 seulement que je me suis « réconcilié » avec l’Autriche et suis devenu un fidèle du Concert de Nouvel an du WPO.

Großer Musikvereinssaal für mehr als 2000 ZuhörerLe cadre est magnifique : la Goldener Saal du Musikverein de Vienne est réputée pour son acoustique et considérée par les spécialistes comme l’une des trois plus belles salles du monde. Certes, il y a le public huppé : toute la haute société viennoise est là, visiblement plus soucieuse de se montrer et de paraître que d’écouter de la belle musique… mais c’est partout pareil dans les grandes salles du monde entier : l’Opéra Garnier ou le Albert Hall n’ont rien à lui envier dans l’étalage vaniteux d’habits, taffetas, bijoux et fourrures.

Musikvereinssaal2Am 1. Jänner 2014, das Neujahrskonzert der Wiener Philharmoniker, in Musikvereinssaal in Wien, was unter der Leitung von Daniel Barenboim.

BarenboimCar oui, ce 1er janvier 2014, le concert était dirigé par Daniel Barenboïm.

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C’est certainement à Daniel Barenboïm qu’on doit l’importance donnée cette année dans le programme à Josef Strauss : fils de Johann Strauss I et frère de Johann Strauss II ; compositeur de nombreuses œuvres, il aurait peut-être surpassé ces deux-là dans la postérité s’il n’était mort prématurément à 42 ans.

Cet homme avait refusé la carrière militaire qui lui était promise car l’idée de tuer d’autres hommes lui faisait horreur. Frère donc aussi de Daniel Barenboïm ce grand pianiste, immense chef d’orchestre, mais plus encore humaniste engagé.

J’espère qu’un jour enfin lui sera décerné le Prix Nobel de la Paix, pour sa magnifique initiative d’avoir, contre vents et marées, créé avec le regretté Edward Saïd, en 1999 à Weimar à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de Goethe, le West-Eastern Divan Orchestra, qui réunit pour la musique et la concorde entre les hommes plus de 80 jeunes instrumentistes d’Israël, de Syrie, du Liban, d’Égypte, de Jordanie et des Territoires palestiniens. Il réussira le tour de force, en 2001, de diriger en Israël des œuvres de Richard Wagner, compositeur fétiche des nazis.

barenboim-sheila_rockCet homme a consacré toute sa vie à la musique, la culture, l’humanisme, la paix et la lutte contre toutes les ségrégations.

Du coup, moi qui voulais vous présenter à toutes et à tous mes voeux pour 2014… voilà qui est fait : que pourrais-je formuler de mieux, de plus fort, de plus beaux, de plus persuasif que le message de Daniel Barenboïm ? Alors, selon que vous aimez un peu, beaucoup ou très modérément la musique « classique », au lieu de lire la carte de vœux que je n’écrirai pas, écoutez, s’il vous plaît, trois minutes, une heure ou trois jours, une musique interprétée ou dirigée par cet immense artiste.

Concert Nouvel An 2014 – Vienne – Daniel Barenboim (extrait)

1er janvier 2014