2013 12 03 : La musique ? Le mieux, c’est de l’écouter ! (Theodor W. Adorno)

Par curiosité, récemment j’ai acheté un bouquin de Theodor W. Adorno, Beaux passages, compilation d’articles et d’extraits des années 1960 consacrés à la musique. J’ai ouvert hier soir le livre avec appréhension, me souvenant que ce philosophe avait encensé la musique dodécaphonique, et d’autres compositeurs « contemporains », mais très sélectivement : Schönberg, Berg et Webern, surtout pas ce vulgaire Stravinski… Et il a évidemment méprisé le jazz, « musique légère », donc « pseudo-démocratique » et, horreur, écoutée du plus grand nombre ! Et puisqu’à son époque les masses allemandes aimaient aussi le nazisme, corrélation hardie… le jazz était une « musique fasciste » !

Adorno - Beaux passagesPar contre, il fut tellement fin psychologue et politologue qu’il affirma un jour que la personne qui comprend vraiment Mahler est vaccinée contre la propagande antisémite. Triste clairvoyance dans un pays où quelques années plus tard les hordes hitlériennes s’enivrent aux accents de Wagner et où les chefs de camp SS, après leur dure journée de tortionnaire et d’assassin, se délassent à la douce musique de Bach et de Mozart.

Bref, je craignais le pire et ne fus pas déçu. Un entretien de 1968 avec le Spiegel révèle sa suffisance et son élitisme. Florilège : « La télévision est relativement étrangère à la musique… elle provoque un certain déplacement de l’attention qui dessert la musique… qui est là pour être écoutée non pour être vue…. Cela devient du show… » Et les masses qui regardent Les noces de Figaro à la télé n’assistent pas au vrai Mozart, pas plus que le petit-bourgeois qui accroche une reproduction de La Madone à la chaise dans sa chambre à coucher ne voit le vrai Raphaël. Des pages et des pages comme cela !

AdornoLa vulgarisation de la culture ? Pouah :

Toujours divinatoire, Adorno prédit que les retransmissions de musique classique à la télévision ne conduiront pas les masses et la jeunesse jusqu’aux œuvres, ne sont pas un bon chemin pédagogique mais régressif. S’il savait qu’aujourd’hui, non seulement les simples mélomanes comme moi, mais aussi les pratiquants, jeunes ou moins jeunes, sont au moins dix fois plus nombreux que du temps où il délivrait cet oracle. Sur sa lancée, il prévoit même que « les opéras auront disparu au siècle prochain » (donc celui-ci). Bref la musique à la télé « c’est de la pacotille ». Arte ? A la poubelle donc !

Alors, certes, Adorno n’est pas Finkielkraut, en dépit des apparentes analogies ci-dessus évoquées : il demeure un grand philosophe du XXe siècle. Il faut le lire dans ses œuvres majeures ; mais quant à la musique, le mieux est encore de l’écouter.

Mahler – Lied Ich bin der Welt abhanden gekommen – Accentus 2001

3 décembre 2013