Edito DH n° 132 mai-juin 2010 : Plus d’Europe, vite !

L’Europe se languit depuis les ratages des traités de Lisbonne et de Nice et l’échec référendaire dans deux pays fondateurs, que n’ont pas compensé les validations parlementaires un peu bricolées et les rafistolages du Traité, dans un contexte d’affaissement de la volonté de construire une Union politique : la flamme, parfois, semble vaciller.

L’Europe, si elle ne se meurt pas, paraît ces derniers temps sérieusement malade, la crise des économies nationales ‑ qu’on a préféré appeler « crise grecque » pour ne regarder que la partie émergée de l’iceberg – étant aggravée par les mouvements erratiques de la finance internationale, laquelle semble en mesure de mettre en faillite un pays, de lézarder l’Euro et conforter durablement l’égoïsme sacré des Etats nationaux.

De ce très mauvais pas, il est banal de dire qu’il faut tout faire pour sortir, et donc nous le disons aussi. En sortir mais comment ? Par une thérapie financière et économique certes, puisque c’est là que s’est ouverte la première brèche. Mais on aurait tort de s’en tenir à ça, n’en déplaise aux tenants acharnés voire obtus du « grand marché libre »…

Pour sauver l’Union européenne, une fuite en avant s’impose, un approfondissement, une dynamique, que les politiques monétaires et économiques ne peuvent seules apporter. Il faut un « supplément d’âme » comme disait l’un de nos présidents ; et comme disait le suivant « L’Europe n’est pas une manufacture. Elle n’est pas qu’un marché ».

Jusque là, je n’aurai fait que rappeler des lieux communs. Soyons plus originaux, et ce dans le domaine qui nous concerne. Car pourquoi ne pas pousser les feux de l’Europe de la santé ?

Pour l’instant certes, la santé n’est pas l’un des « Trois piliers » de l’Union et le Traité, dans la rédaction actuelle de son titre XIV, après une pétition de principe pour « un niveau élevé de protection de la santé humaine » veille surtout à énoncer limitativement les thématiques susceptibles d’évocation : « L’action de l’Union… complète les politiques nationales sur l’amélioration de la santé publique et la prévention… la lutte contre les grands fléaux… la recherche… l’information et l’éducation… la surveillance de menaces transfrontières graves sur la santé,… la drogue… la qualité et la sécurité des organes et substances d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang… des médicaments et des dispositifs à usage médical. »

Et le Traité de mettre les points sur les i : « L’Union encourage la coopération entre les États membres et si nécessaire appuie leur action. … à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres. L’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l’allocation des ressources qui leur sont affectées. »

Mais un traité, cela ce change… surtout si c’est l’Union même, dont il n’est que l’acte notarié, qui est en danger. En le changeant, on resterait d’ailleurs dans le droit fil de l’Histoire. Car si les axes de l’Europe furent le charbon et l’acier en 1951, la production agricole en 1957, c’étaient alors des priorités vitales. Pour redonner une impulsion décisive, il faut évidemment mobiliser les euro-citoyens sur des questions qu’ils jugent primordiales aujourd’hui, et de surcroît cela distinguerait la vieille Europe des économies productivistes émergentes en exprimant le cœur du modèle social qu’elle prétend incarner.

Si nous ne construisons pas ce modèle, ce « référentiel », ce « paradigme », pour rendre aux jargonnants ce qui leur revient, alors l’Europe se résignera à courir derrière la finance anglo-saxonne, la technologie asiatique, la culture Google, et ‑ issue pourtant résistible ‑ la loi marchande sera la loi unique d’un monde totalement globalisé.

Et les Européens iront de plus en plus nombreux se faire greffer en Thaïlande, opérer en Tunisie, liposucer au Maroc, lifter en Afrique du Sud, interpréter leur scanner en Inde… Alors s’installera à grands vols de charters un tourisme de la santé plus florissant encore que le tourisme « sentimental » cher à notre ministre de la culture…