Edito DH n° 111 février 2007 : Ils sont formidables !

Depuis des années, que vous soyez médecin, directeur ou cadre, vous êtes soumis au même message, mi-pédagogique mi-réprobateur : « la santé n’a peut-être pas de prix mais elle a un sacré coût ». C’était du temps que Raymond Barre tançait, roide Premier ministre décrétant la rigueur, et cela fait 30 ans ! Depuis lors nous allons, hospitaliers honteux, dos courbé, tête basse, regard torve, chassés du paradis de la conscience tranquille et de l’Eden budgétaire, rongés par le remord inflationniste.

Certains d’entre nous s’essayent maladroitement à utiliser les outils de gestion en vogue, toujours plus nombreux, plus compliqués, peu affûtés ; d’autres s’exercent au sermon en CA, CME, CTE et autres assemblées de paroissiens offertes à leur zèle pénitent ; les plus roués s’ingénient à débusquer les gabegies et gaspillages chez les autres : médecins, petits personnels… ou encore à flinguer leur prédécesseur, forcément incompétent.

Quant aux élus locaux, ils sont frappés d’un mépris définitif, stigmatisés d’une tare indélébile, ces maires insupportables qu’on ne parvient pas, réforme hospitalière après réforme hospitalière, à déboulonner de leur fauteuil de président du CA, irrécupérables populistes qui ne voient dans « leur » hôpital que le premier employeur de la ville et le plus gros acheteur du canton…

Et si l’on a remisé la « maîtrise comptable », qu’ambitionnait d’inaugurer un autre Premier ministre droit dans ses bottes, ce fut pour mieux nous faire pressentir le gant de velours d’une « maîtrise médicalisée ». Paroles, paroles, d’ailleurs, car de maîtrise il n’y a guère…

Si bien que ces derniers mois, à la différence de l’Allemagne par exemple, rien ne s’arrange fondamentalement. Les médias les moins polémistes l’écrivent. Le Parisien : « Déficit de la Sécu : la grande entourloupe : c’est grâce aux meilleures recettes de cotisations sociales que les comptes sont meilleurs, le volet dépenses, lui, est moins glorieux, les résultats 2006 n’ont pas été à la hauteur et 2007 démarre très mal ». Les Echos : « les comptes de la Sécurité sociale se redressent de manière un peu plus rapide que prévu mais les dépenses continuent de progresser ».

Et malgré cela, malgré tout, voilà-t-il pas que, soudainement, nous sommes pris à contre-pied de notre autoflagellation ! Celui qui le premier ose le propos incongru sinon obscène, c’est celui là même dont on l’attendait le moins : un bon élève du Gouvernement, économe jusqu’alors de propos fracassants, apprécié pour son sérieux et sa relative indifférence aux sirènes médiatiques, bref l’inverse de son prédécesseur ! Ce fut donc Xavier Bertrand qui se lâche, déclarant, encore ministre et donc pas uniquement porte-parole zélé d’un candidat : « Cessons de regarder l’augmentation des dépenses de santé comme un drame ; une telle augmentation n’est pas défavorable à l’emploi ni à la croissance car elle est facteur d’innovation. »

D’autres candidats, ainsi dédouanés de toute candeur stupide, s’engouffrèrent dans le sillage de l’échappé. Ainsi François Bayrou au salon du MEDEC berça son auditoire de médecins libéraux : « Il faut considérer la santé non pas seulement comme une dépense mais aussi comme une source unique de progrès social et économique et d’innovation. »

Faudrait savoir : alors les hospitaliers, on ruine la sécu ou on dope l’économie ? Nous pourrions nous en tenir là, ricaner dans le style néo-poujadiste ambiant « Ces candidats sont vraiment formidables », contribuer à la défiance généralisée envers les politiques, voire à l’ambiance nauséeuse que développe le pire des candidats, celui dont on redoute qu’il soit au deuxième tour.

Mais il faut aller voir un peu plus loin, dans d’autres déclarations des susnommés. Le représentant de François Bayrou a promis de « faire 20 % d’économies dans le gras, à l’hôpital » et cela provoque quelque indignation. Nicolas Sarkozy dit « compter sur la lutte contre les abus et gaspillages et la responsabilisation des assurés via une ou des franchises ».

On commence alors à comprendre : ces hommes politiques expérimentés n’ont pas cédé à la vulgaire démagogie en transmutant le plomb des dépenses de santé en or de revenus productifs. Ils dessinent à petites touches discrètes, en langage suffisamment codé pour que les professionnels de santé libéraux comprennent – mais pas les citoyens lambda et patients virtuels ‑ qu’ils ont un plan. Un bon plan, d’ailleurs plus qu’amorcé : dissocier les dépenses remboursées par la sécurité sociale des honoraires payés : pour que les seconds puissent continuer à s’envoler sans aggraver les premières. Que l’usager injecte du revenu dans l’économie de santé ; mais que les cotisations sociales s’allègent pour l’entreprise.

Après les élections on vous fera un dessin : une belle loi d’orientation.