2024 11 04 : Alice Zeniter : Frapper l’épopée – roman

Ce nouveau roman d’Alice Zeniter consacré à la Nouvelle-Calédonie comporte trois parties distinctes : la première, la plus longue s’intitule Les antipodes ce qui est assez exact pour situer le « Caillou » par rapport à la métropole. La seconde se nomme Avant et la troisième La surface.

La narratrice, Tass, est une Calédonienne de naissance qui revient exercer sa profession de professeure après dix ans de métropole. Elle nous fait connaître la nouvelle donne de ce territoire qu’elle découvre elle-même car beaucoup de choses ont changé ces dix dernières années. Subtilement, nous percevons la désoccidentalisation progressive de Tass qui renoue avec son identité d’origine.

Tass se préoccupe de deux élèves de sa classe, deux faux jumeaux, Pénélope et Célestin, adeptes d’un comportement « d’empathie violente » qui lui semble un euphémisme d’activisme indépendantiste, puis disparaissent : alors elle part à leur recherche dans un périple compliqué et des circonstances inattendues.

Tass, à la recherche de son identité et donc de ses racines (comme toujours dans les romans d’Alice Zeniter) nous révèle progressivement qu’elle est descendante de déportés algériens ; car la Nouvelle-Calédonie sitôt occupée par la France en 1853, fut une terre de déportation pénitentiaire, non seulement pour les proscrits de la Commune de Paris après 1871, non seulement pour des bagnards de droit commun, mais aussi pour des Algériens qui avaient été résistants ou simplement réfractaires à la récurrente cruauté coloniale de la Monarchie de Juillet, du IIIème Empire puis de la IIIème République de Ferry ; avec souvent, hélas, le concours d’anciens déportés métropolitains ou Algériens ; car d’anciennes victimes peuvent devenir des oppresseurs.

A l’exception bien sûr, de l’exemplaire communarde déportée Louise Michel.

J’ai trouvé la première partie, celle des investigations de Tass à la recherche des jumeaux, un peu longue. Mais ensuite on retrouve toute la subtile cruauté de Zeniter pour démystifier la colonisation, dévoiler ses aspects les plus ségrégationnistes dans la vie ordinaire, le confinement des Kanaks dans les territoires les moins fertiles de leur terre, les inégalités sans commune mesure avec celles de la métropole, le lent mais constant détournement ou contournement des accords de Matignon de 1988.

Zeniter livre un plaidoyer vibrant pour ces Kanaks et ces déportés « victimes de l’histoire » selon les termes de Jean-Marie Tjibaou dans les années 1980 pour dire que ces victimes avaient une légitimité à vivre en Kanaky au titre d’une convergence des luttes et des histoires.

Et soudainement Zeniter la Kabyle parle à la première personne lorsqu’elle nous expose ses recherches d’un ancêtre dans la liste des 2 000 Kabyles envoyés au bagne…

Effectivement dans un chapitre fantastique mais symbolique, Tass (abrégé du prénom berbère Tassadith qui signifie persévérante) fait connaissance de son arrière-arrière-arrière-grand-père, Areski Arezki, déporté kabyle qui après avoir purgé sa peine vivra sur le Caillou et s’y mariera.

Le titre est emprunté à la rappeuse Casey, que chacun de vous connaît bien entendu.

Casey – Rêves illimités

4 novembre 2024