Spleen et idéal : XXXIII – REMORDS POSTHUME

Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d’un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n’auras pour alcôve [1] et manoir
Qu’un caveau pluvieux et qu’une fosse creuse ;

Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs qu’assouplit un charmant nonchaloir [2],
Empêchera ton cœur de battre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse,

Le tombeau, confident de mon rêve infini
(Car le tombeau [3] toujours comprendra le poëte),
Durant ces longues nuits d’où le somme est banni,

Te dira : « Que vous sert, courtisane [4] imparfaite,
De n’avoir pas connu ce que pleurent les morts ? »
— Et le ver rongera ta peau comme un remords.

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Léo Ferré 1967

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Georges Chelon 1997

[1] Synonyme ancien de chambre à coucher.
[2] Forme ancienne de nonchalance.
[3] Baudelaire joue peut-être ici sur les deux sens de tombeau : 1) couramment, la tombe – 2) en art : une composition poétique ou musicale écrite à la mémoire d’un artiste.
[4] Femme facile et entretenue.