J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances [1],
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances [2],
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C’est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
— Je suis un cimetière abhorré [3] de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir [4] plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées [5],
Où les pastels [6] plaintifs et les pâles Boucher [7],
Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché.
Rien n’égale en longueur les boiteuses [8] journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L’ennui, fruit de la morne [9] incuriosité,
Prend les proportions de l’immortalité.
— Désormais tu n’es plus, ô matière vivante !
Qu’un granit entouré d’une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d’un Saharah brumeux ;
Un vieux sphinx [10] ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche
Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche [11].
Georges Chelon 1997