Tableaux parisiens : CI – BRUMES ET PLUIES

Ô fins d’automne, hivers, printemps trempés de boue,
Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue
D’envelopper ainsi mon cœur et mon cerveau
D’un linceul vaporeux et d’un vague tombeau.

Dans cette grande plaine où l’autan [1] froid se joue,
Où par les longues nuits la girouette s’enroue,
Mon âme mieux qu’au temps du tiède renouveau
Ouvrira largement ses ailes de corbeau.

Rien n’est plus doux au cœur plein de choses funèbres,
Et sur qui dès longtemps descendent les frimas [2],
Ô blafardes saisons, reines de nos climats,

Que l’aspect permanent de vos pâles ténèbres,
— Si ce n’est, par un soir sans lune, deux à deux,
D’endormir la douleur sur un lit hasardeux.

Léo Ferré 1957

Georges Chelon 1997

[1] Vent d’orage qui souffle du sud : Baudelaire a sans doute confondu avec la bise.
[2] Synonyme de brouillard givrant.