Le vin : CVII – LE VIN DU SOLITAIRE

Le regard singulier d’une femme galante
Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc
Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,
Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ;

Le dernier sac d’écus dans les doigts d’un joueur ;
Un baiser libertin [1] de la maigre Adeline [2] ;
Les sons d’une musique énervante [3] et câline,
Semblable au cri lointain de l’humaine douleur,

Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes [4] pénétrants que ta panse [5] féconde
Garde au cœur altéré du poëte pieux [6] ;

Tu lui verses l’espoir, la jeunesse et la vie,
— Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie [7],
Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux !

Georges Chelon 1997

[1] Témoignant d’un mode de vie libre, ici en matière amoureuse.
[2] On ignore à qui Baudelaire faisait allusion ; peut-être la personnification de la femme facile.
[3] Ici au sens de : amollissant les nerfs.
[4] Substance apportant un adoucissement.
[5] Ici au sens figuré : partie renflée d’une bouteille.
[6] Ici au sens de : dévoué.
[7] Condition d’extrême pauvreté d’une personne.