Fleurs du mal : CXVII – L’AMOUR ET LE CRÂNE

VIEUX CUL-DE-LAMPE [1]

L’Amour [2] est assis sur le crâne
De l’Humanité
Et sur ce trône le profane,
Au rire effronté,

Souffle gaiement des bulles rondes
Qui montent dans l’air,
Comme pour rejoindre les mondes
Au fond de l’éther [3].

Le globe lumineux et frêle
Prend un grand essor,
Crève et crache son âme grêle [4]
Comme un songe d’or.

J’entends le crâne à chaque bulle
Prier et gémir :
— « Ce jeu féroce et ridicule,
Quand doit-il finir ?

Car ce que ta bouche cruelle
Éparpille en l’air,
Monstre assassin, c’est ma cervelle,
Mon sang et ma chair ! »

Georges Chelon 1997

Hendrick Goltzius, Quis evadet ? vers 1590

[1] En typographie, ornement en bas d’une page de fin de chapitre ou de livre, qui prend généralement la forme d’un triangle composé d’un dessin.
[2] Evoque ici le putto italien, angelot nu et ailé dans les représentations artistiques du christianisme, et, dans la mythologie romaine, Cupidon, fils de Vénus, dieu de l’Amour.
[3] Au sens antique puis littéraire : l’air le plus pur ; espace céleste.
[4] Chétive.