J’ai souvent entendu dire, même dans mon entourage amical : « Oui, bon l’Afrique et les Africains, d’accord… mais qu’ils prennent leur destin en main au lieu de se plaindre ».
Sarkozy avait donné le diapason de ce double jeu, double propos compassionnel – paternaliste, avec son discours de Dakar en 2007 : « Le colonisateur a pris, s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources […] mais la colonisation n’est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux, des génocides, des dictateurs, du fanatisme, de la corruption et de la prévarication […] Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire »
Mais des gens qui se veulent de gauche participent aussi à ce « lavons-nous en les mains » car vraiment « le colonialisme c’est fini depuis 60 ans : en 1960 les pays africains de l’ancienne Communauté française sont tous devenus indépendants ».
Nul besoin d’être un indigéniste radical pour réfuter cette défausse : il suffit d’avoir lu des livres sur l’Afrique pour comprendre les motifs de l’évolution :
L’esclavage fut aboli… lorsque l’Angleterre puissance capitaliste dominante n’en eut plus besoin dans ses plantations.
Le colonialisme qui dominait l’Afrique par occupation militaire et structures coloniales sur place, rigides et onéreuses, c’est fini.
L’impérialisme économique prit ensuite le relais par fantoches interposés pour continuer à piller les richesses.
Le mondialisme financier a enfin rendu cette domination plus subtile : on ne pille plus les matières premières, on les achète par libre échange négocié et partenariat, aux cours du marché… cours fixés par qui ? Lorsque, conjoncturellement, le rapport offre/demande induit une hausse du cours d’une matière première, alors certes de plus grosses coupures sortent de la poche de l’acheteur vers la poche du vendeur. Mais ses gains, le vendeur les place… dans les banques et actionnariats de l’acheteur.
Pendant ce temps des milliers d’Africains, en République démocratique du Congo par exemple, meurent, sont mutilés, violés par des milices financées – pour protéger l’extraction des « minerais de sang » or, tantale, étain tungstène, palladium, cobalt – par les multinationales de l’informatique et de la téléphonie. Des milliers d’enfants africains meurent ou sont malades à vivre dans un environnement empoisonné.
Des milliers d’Africains meurent, qui ne comptent pas. Qu’on n’a jamais comptés dans nos médias.
Leurs pays n’étant pas considérés en guerre comme la Syrie ou l’Irak, ils n’obtiendront pas le statut chichement accordé de réfugié politique, mais le hors-statut de migrant économique irrégulier, celui qui vient voler, au choix, l’emploi des Français, leur couverture maladie, leurs allocations familiales. Alors qu’ils crèvent !
Et ils crèvent par dizaines de milliers, agonies soigneusement disséminées entre leurs différents points de départ, les camps de concentrations esclavagistes de Lybie ou du Maroc, les rafiots des naufrageurs de la pire espèce. Ils crèvent, mais on les compte le moins possible ; l’Europe regarde ailleurs et puis les morts Covid occupent notre actualité médiatique, dénombrés, eux, au jour le jour.
Comme nos pays développés veulent tout de même se draper en nobles attitudes, on combat le racisme anti-Noirs : Black Lives Matter a un énorme retentissement, qui s’en plaindrait ? On dénonce le racisme dans la vie culturelle et sociétale, tant mieux. Mais se préoccuper des Noirs de notre pays et des Africains là-bas, ce n’est pas la même chose.
A ceux qui pensent néanmoins que l’Afrique est le problème des Africains et plus le nôtre, je conseille, puisqu’ils n’auront sans doute pas l’envie ou le temps de lire les excellents mais gros livres qui traitent la question, de bouquiner un magistral et implacable tract de 40 pages : Cadavres noirs de Gérard Prunier. L’Afrique, il la connaît lui depuis 50 ans, alternant séjours prolongés dans divers pays africains et travaux ou exposés universitaires en Europe et au Canada.
Alors lisez ce petit opuscule quand vous serez sur la plage. Du bon côté, vous, de la Méditerranée, ce côté certes dévasté par la promotion immobilière et le tourisme de masse, mais où nos noyés sont dix fois moins nombreux et comptabilisés au jour le jour, eux, dans nos informations estivales.
17 juillet 2021