Le mouvement #MeToo déferle depuis trois ans sur le monde occidental, et ce n’est pas fini. Avec certes, dira-t-on, quelques dérives et attitudes excessives, mais c’est inévitable dans tout mouvement historique ou social d’ampleur.
A cet égard, je préfère de loin le mot-dièse positif #MeToo (moi aussi) qui marque la solidarité réactive des victimes, au très négatif #balancetonporc qui utilise le langage du flic ou de l’indic qui balance et qui stigmatise les abuseurs, harceleurs et prédateurs par le terme vindicatif de porc alors qu’il faut froidement les désigner pour ce qu’ils sont : des pervers psychopathes. Face à une vulgarité insupportable, faut-il tomber dans la vulgarité soi-même ?
Le sexe dans notre culture
La plupart de nos semblables ignorent (sauf les hellénistes, mais ils représentent une infime minorité) ce qu’étaient chez les Grecs, entre – 600 et -50 avant JC, les conceptions et les pratiques quant à l’amour et au sexe. Elles ne creusaient pas de fossés infranchissables.
- Union durable (pour élever des enfants) et liaisons passagères (pour jouir de la vie, bien plus brève qu’aujourd’hui) coexistaient sans interdit moral ou religieux.
- Amour affectif et plaisir sexuel, corps et âme, chair et esprit, étaient considérés comme un tout et pas comme deux dimensions séparées voire conflictuelles.
- Relations hétérosexuelles et homosexuelles vivaient en coexistence et souvent en dualité, une femme ou un homme n’était pas « déterminée » d’être exclusivement homo ou hétéro à vie.
On pourrait longuement disserter sur l’amour et le sexe dans le monde grec, mais il y a d’excellents livres là-dessus.
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Tout bascula dans les premiers siècles après JC, avec la domination sans partage du monde judéo-chrétien et arabe par les monothéismes (les monothéismes, car les trois religions : Judaïsme, Christianisme et Islam sont à ranger dans le même obscurantisme intolérant).
Pour des raisons politiques très communes aux pays et périodes : dominer le peuple et le faire obéir aux despotes par l’intermédiaire des religieux, énoncer des interdits pour créer peurs et discipline, polariser les femmes sur la reproduction et les hommes sur la guerre, etc.
Et aussi à cause de circonstances fortuites qui auraient pu tout aussi bien ne pas survenir. Ainsi saint Paul détestait les femmes. Mahomet semblait tolérant mais les premiers théologiens musulmans étaient des types coincés qui ne voyaient dans le sexe que l’utilité procréatrice. Quant au peuple Juif, c’était un peuple minuscule dans le monde antique, alors l’obsession de la Bible, de la Thora et des religieux juifs fut que leur peuple survive, donc que l’activité sexuelle soit centrée uniquement sur la reproduction : croissez et multipliez-vous.
C’est ainsi que les 18 premiers siècles du monde judéo-chrétien et arabe furent, globalement, ceux de la répression du plaisir sexuel et de la sexualité non-reproductive. Même s’il y eu culturellement de petites minorités permissives, « libertines », « débauchées ». Tant que cela ne contaminait pas la grande masse du peuple c’était toléré pour « l’élite » et les puissants.
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Aux XIXe et XXe siècles les choses bougèrent, avec la naissance du féminisme, la libération culturelle, puis les travaux de Freud, et surtout, surtout, ce qui me parut les deux évènements majeurs du XXe siècle (je les ai vécus) la contraception (1967) et l’IVG (1975).
La femme libérée de la terreur de la grossesse non désirée pouvait centrer ses pratiques sexuelles sur la recherche du plaisir… Restait ‑ reste encore car ce n’est pas achevé ‑ à inscrire cette libération objective (scientifique et médicale) dans les concepts, la culture, la politique, les mœurs, les pratiques.
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Actuellement nous sommes parvenus, me semble-t-il, à un carrefour :
D’un côté, les tenants d’une sexualité débarrassée de l’autre, non seulement du lourd passif machiste et harceleur, mais de l’homme « dominateur par essence » ou de la femme « emmerdeuse par nature »; de l‘encombrante présence de l’autre, de la coexistence avec un autre humain, donc forcément différent de moi, donc nécessitant des ajustements, des accommodements, des concessions. Des concessions ? Horreur !
Alors chez certains et certaines, la tentation est nette de s’installer dans une sexualité essentiellement individuelle, narcissique, solitaire. D’où le développement de la pornographie, des poupées en silicone, des sex toys, etc.
Ce n’est pas l’existence de ces « outils » qui en elle-même est préoccupante : c’est lorsqu’ils remplacent totalement la relation sexuelle interpersonnelle. Car par ailleurs, l’existence de ces outils est utile aux personnes en misère sexuelle, vouées à un isolement forcé, ou malheureusement en inaptitude (réelle ou imaginée) à séduire ou à se faire séduire.
D’un autre côté, les tenants d’une sexualité « revenant à des fondamentaux », rechutant en fait dans un conformisme ancestral, au motif que ces fondamentaux seraient indispensables à l’équilibre mental des individus. Le salut serait dans la stabilité des couples de longue durée, la sexualité domestiquée car ramenée à une dimension subalterne de la vie affective.
Voire même une tendance ascétique (très minoritaire mais qui n’est pas que sectaire) à prôner l’amour et l’affection sans sexe, une félicité parfaite par l’abstinence. Un peu comme certains vantaient il y a vingt ans les vertus pour la santé du jeûne alimentaire sévère.
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Au milieu de cette incertitude nouvelle, s’expriment certains délires sur le « genre » : le sexe anatomique de naissance ne serait qu’une donnée biologique transformable, interchangeable à volonté car la médecine permettra bientôt facilement de muter d’un sexe à l’autre ; voire de gommer radicalement la sexuation : il y aura un unisexe androgyne comme chez les escargots. Pour anticiper ce futur « idéal », il faut (par des médicaments !) retarder la puberté de nos ados actuels, pour qu’ils puissent le moment venu choisir leur sexe eux-mêmes.
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Mon opinion ?
La mienne, rien que la mienne évidemment, mais il m’en faut une sur ce sujet fondamental :
D’abord revenir aux Grecs, à la sagesse du monde antique (il y a aussi la sagesse orientale, mais je ne la connais pas, je ne peux en parler).
Ensuite respecter le mieux possible les caractéristiques dont nous dote la nature (ou Dieu si on est croyant), ne les changer qu’avec d’infinies précautions, lorsqu’il est prouvé que c’est non seulement sans danger parce que ne modifiant que les apparences, aspects ou volumes, mais que c’est favorable ou indispensable à l’épanouissement personnel et sexuel (je songe évidemment à l’amélioration des seins et autres chirurgies esthétiques).
Respecter avec humanisme et philosophie les pulsions et fantasmes sexuels, qui n’ont jamais fait de mal à personne, et bon sang ! les laisser s’épanouir, puisqu’évidemment pulsions et fantasmes nous épanouissent, et subséquemment nous rendent heureux… voire sympathiques.
Respecter la liberté des pratiques sexuelles « entre adultes consentants » selon la formule, puisque désormais elles ne sont plus à risque de grossesse et de moins en moins à risque de maladie.
Utiliser les outils et accessoires (les sex toys en anglais) parce qu’utiles à l’excitation et à l’obtention de l’orgasme. Ou comme suppléments orgasmiques. Ou en remplacement temporaire (ou hélas durable) des relations sexuelles interpersonnelles.
Sans jamais oublier que le cœur de la relation sexuelle, c’est le merveilleux partage entre deux êtres érotiques, qui sont constitués non seulement de corps et de chair, mais d’esprit et d’âme.
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S’il est une leçon à tirer de ce cheminement, pour ma part je la vois dans la lenteur considérable des évolutions culturelles et sociales ; ou pour mieux dire, dans le décalage important entre l’innovation scientifique, technique, médicale et ses répercussions sur les idées et les comportements.
Pensez : presque 80 ans que les femmes ont les mêmes droits politiques et constitutionnels que les hommes ; presque 50 ans que la femme a arraché les fondamentaux de son indépendance en maîtrisant son corps (lois Neuwirth et Veil), donc en devenant l’égale de l’homme dans les rapports sentimentaux et sexuels. Presque 40 ans qu’elle a fait inscrire dans le droit positif l’égalité économique, salariale et professionnelle (loi Roudy).
Et pourtant, les inégalités de revenus et de compétences, même si elles diminuent restent tangibles.
La sous-représentation politique féminine a nécessité de recourir au système coercitif des quotas pour sortir de l’immobilisme.
Les spécificités de la sexualité de la femme et la possibilité de l’épanouir à sa guise sans se faire traiter de salope, ouvertement ou insidieusement, sont lamentablement entravées.
Les harcèlements professionnels, sociétaux ou familiaux restent une réalité puisqu’il fallut qu’elles proclament #MeToo pour que s’engage l’éradication définitive de la phallocratie.
Quatre générations pour enfin apercevoir le bout du tunnel.
14 avril 2021