Ma formule est lapidaire, donc sans nuance, à l’emporte pièce ; mais je vais l’expliciter plus avant.
A la différence d’autres grands noms de la chanson, j’ai toujours éprouvé pour Charles Aznavour une estime… mêlée de consternation.
Estime : comment aurais-je pu ne pas aimer des chansons magnifiques et qui eurent un succès considérable, comme Il faut savoir, Je me voyais déjà, Mourir d’aimer, Tout s’en va, Emmenez-moi, La bohème ? Ou encore L’amour et la guerre en 1960 : les paroles sont du poète Bernard Dimey, mais cela n’enlève rien au mérite d’Aznavour d’avoir chanté cette protestation contre la guerre d’Algérie.
Et puis Charles Aznavour avait beaucoup d’amis de grande qualité dans le monde musical et culturel, donc ce ne devait pas être un homme ordinaire.
J’avais néanmoins beaucoup moins apprécié certains « tubes » comme La mamma, enfilade pénible de clichés sur la famille napolitaine ou sicilienne.
Mais ce qui me consternait c’était la manière dont il voyait la Femme. En 1960 je n’en savais encore rien, de la Femme, sinon ce que je commençais à en lire dans les romans ou poésies ; mais quand même, quand même, j’étais un peu révulsé.
Par exemple dans Tu t’laisses aller en 1960 : l’homme, évidemment tendre, sensible, affectueux, se lamente parce que sa compagne « se laisse aller ». C’est de sa faute à elle si leur couple bat de l’aile au bout de cinq ans seulement : elle fait la tête, c’est une commère, un sale caractère, un tyran, venimeuse, hargneuse, quant à son corps il est avachi, ses bas tombent, son peignoir s’entrouvre, ses bigoudis… n’en jetez plus ! Pourtant, tout pourrait redevenir comme avant ; à condition… que lui change ? Vous rigolez, non ? Elle : qu’elle se fasse belle, qu’elle maigrisse, qu’elle se maquille… Tout ça pleurniché poétiquement. Edifiant, non ?
Et ce n’est pas un accident de parcours isolé d’un auteur-compositeur-interprète mal inspiré. Car Aznavour récidive deux ans plus tard avec Trousse chemise. Pendant les vacances, un mec et une jeune fille de 17 ans : après la baignade ils ont « fait des bêtises ». Enfin, lui a eu envie de faire une bêtise, conjuguer le verbe aimer à sa manière à lui et malgré ses prières à elle, à corps défendant… Consentement ? Connais pas. La jeune fille n’a ensuite de choix que faire sa valise et partir…Tout ça murmuré poétiquement. Ecœurant, non ?
Mais Aznavour évolue, puisqu’un an plus tard, il progresse… d’un an : ce n’est plus le viol d’une femme de 17 ans qu’il chante mais Donne tes seize ans. Normal : son corps d’enfant se transforme, il est grand temps qu’elle se donne, et tendrement bien sûr… Tout ça susurré poétiquement. Répugnant, non ?
Ensuite, en 1969 il chanta Au nom de la jeunesse : mais ce n’était pas la jolie jeunesse de Mai 1968 sur laquelle il s’attendrissait, vous l’avez compris maintenant.
Et pourtant, dans mon cercle familial et amical, nombre de femmes appréciaient ces chansons parce que pour elles Aznavour, à sa manière, était féministe ! Jeunes gens, vous mesurez là le chemin considérable qui a été parcouru depuis ces années !
En 1972, les idées 68 ayant quand même fait leur chemin, il livre Comme ils disent, qui aborde l’homosexualité certes sans dérision ni hostilité, mais en accumulant là encore les clichés et poncifs sur l’homo vieillissant qui vit toujours chez sa maman… Tout ça poétiquement, comme d’habitude.
Alors, quand tardivement en 1997 il chante Le droit des femmes… laissez-nous rire !
24 octobre 2020
1960 Charles Aznavour – L’amour et la guerre
1961 Charles Aznavour – Je me voyais déjà
1967 Charles Aznavour – Emmenez-moi
1972 Charles Aznavour – La bohème
1975 Charles Aznavour – Que c’est triste Venise
1963 Charles Aznavour – La mamma
1960 Charles Aznavour – Tu t’laisses aller
1962 Charles Aznavour – Trousse chemise
1963 Charles Aznavour – Donne tes seize ans
1969 Charles Aznavour – Au nom de la jeunesse
1972 Charles Aznavour – Comme ils disent
1997 Charles Aznavour – Le droit des femmes