2018 02 22 : Corot l’inconnu du portrait

Il est des jours privilégiés où l’on progresse dans la connaissance qu’on a de soi-même et c’est appréciable… y compris si cette découverte n’est pas flatteuse, car malgré cela on est un peu moins ignare en se couchant qu’en se levant.

Ainsi hier, par exemple : froid intense et bise acérée, je consultai donc les programmes d’expositions où aller me réchauffer un peu entre deux déambulations. Voilà que je tombe sur un intitulé énigmatique : Musée Marmottan : Corot, le peintre et ses modèles.

Alors là je tombe de haut… du haut de 50 années d’ignorance.

Car cette affirmation muséale me renvoie dans une ère que vous n’avez pas connue, c’était un peu avant Mai 68, Cohn-Bendit était sympa en ce temps-là, Henri Weber n’avait pas dégénéré sénateur, c’était précisément en l’an 10 a.M. : non, pas dix ans avant la naissance de J-C mais celle du Jupiter qui présentement nous préside.

Nous étions un groupe de lycéens à nous intéresser à la peinture. Un très petit groupe ; à cette époque que vous n’avez pas, décidément pas connue, le Louvre était quasiment désert et l’on pouvait y déambuler tout à son aise.

Et dans ce cénacle moi j’étais sans doute le plus fier, persuadé parfois d’être plus clairvoyant que mes copains, dont deux peignaient pourtant. Ainsi pendant qu’ils adulaient Courbet pour son côté contestataire et anar (mais moi je n’aimais pas confondre l’artiste, ses opinions et son œuvre et je trouvais que Courbet n’était pas un peintre majeur), pendant qu’ils vénéraient les impressionnistes (tandis que moi je les aimais certes mais trouvais qu’il y avait quand même un peu de systématisme chez les impressionnistes de deuxième génération et pire encore chez les pointillistes). Dans ces controverses minuscules au bar des grands talents, moi, moi qui restais le plus fier j’admirais Corot.

J’étais persuadé que Corot était le plus grand des paysagistes du XIXe siècle : il avait réhabilité le paysage non comme décor de scènes épiques, idylliques ou antiques, mais pour la nature elle-même ; il avait redécouvert la lumière et en avait réinventé presque totalement l’expression picturale et cela 20 ans avant les impressionnistes.

Sans doute pas dans tous ses paysages, certes, mais certains étaient de pures merveilles qui le mettaient au niveau des plus grands. Enfin pour moi, tandis que mes amis donc n’avaient pas décelé ce génie de Corot.

Or 50 ans plus tard je suis un peu moins fier, forcé même de constater que j’étais possiblement niais et surtout très inculte puisque je ne savais pas, je ne soupçonnais même pas que Corot fut aussi portraitiste ! Je crois bien qu’à l’époque je n’avais vu de lui aucun portrait, ni en vrai ni en reproduction.

C’est subséquemment piqué par la curiosité que je me suis rendu à Marmottan, l’amour-propre mal défroissé, donc tantôt marmottant tantôt marmonnant.

Alors je dus me rendre à l’évidence admirative du grand Corot et fustiger rétroactivement mais sévèrement mon ignorance demi-séculaire.

Car les figures de Jean Baptiste Camille respirent la vie calme et tranquille, loin des portraits sur commande des gens de haute société. Ses personnages féminins notamment sont d’une étonnante sincérité et pour tout dire modernité : finies les poses alanguies ou lascives qui ordonnaient le sujet depuis la Renaissance italienne. Même dans ses nus, Corot s’en voudrait de faire du suggestif ; la grâce plutôt que l’érotisme. Son respect pour les autres et notamment donc pour la femme éclate dans chaque portrait. Même la jeune Marietta, son tableau le plus osé, est d’une sage tranquillité.

Voilà une exposition d’une rare intelligence (jusqu’au 8 juillet).

22 février 2018