Tenez, je vais vous donner un aperçu de mon talent de bonimenteur pervers, en vous résumant l’argument de ce film de Tonie Marshall avec toute l’insidieuse contre-publicité qu’il faut pour vous le faire fuir :
Or donc, Emmanuelle (Emmanuelle Devos) est une ingénieure exceptionnellement douée, et qui de ce fait (car la promotion méritée ça existe) s’est hissée au tout premier cercle de son entreprise, une « major » de l’énergie (vous comprendrez le graissage du mot un peu plus bas).
Et comme la fraternelle des femmes d’influence ça existe aussi, voilà-t-y pas qu’on lui propose de la propulser à la tête d’une hyper-entreprise du CAC 40. Ce serait la première femme P-DG du CAC.
Mais bien sûr ces hauteurs stratosphériques étant encore trustées par les hommes, Emmanuelle va rencontrer tous les obstacles possiblement tordus, car c’est une sale guerre et certainement pas une guerre en dentelle.
Je viens donc de vous faire croire à un brûlot féministe attardé, qui se penche non sur la condition assujettie de millions et millions de salariées surexploitées et sous-payées, mais sur les malheurs d’une pauvre petite man(a)geuse d’hommes. Le fantôme de Romy Schneider dans La Banquière doit rôder.
Sauf que rien n’est jamais loupé d’avance et qu’on peut décemment aller voir ce film, qui est un thriller économico-politique passionnant.
Je sens que je ne vais pas échapper à la question numéro une qu’on pose toujours à propos d’une fiction sociale : est-ce crédible ? Cela se passe-t-il ainsi dans le secret des conseils d’administration et en haut des tours de La Défense ? Ce réalisme montre-t-il vraiment la réelle réalité vraie ? Est-ce un film à clé qui retrace le véridique parcours de businesswomen existantes, telles qu’Isabelle Kocher… DG du groupe En(er)gie par exemple ?
Mais je n’en sais fichtrement rien ! Et le peu que l’on en sait doit être aussi consistant et probant que la vision d’un bel appartement du XVIe arrondissement tel qu’aperçu par le démarcheur-placeur des billets de la tombola des Petits frères des riches auquel une domesticité circonspecte entrouvre fugitivement un huis parcimonieux.
Et j’ai beaucoup souri en parcourant la critique : aucun des journalistes ayant vanté la « justesse », « l’enquête minutieuse » ou « l’authenticité documentaire » de ce film n’en sait évidemment plus que moi sur ce qu’il y a derrière le décor.
Donc évacuons ce débat s’il vous plaît et regardons ce film comme nous lirions un roman de Balzac. Et c’est précisément pour le style, pour la densité des personnages, pour l’interprétation des acteurs (Suzanne Clément, Richard Berry, Sami Frey) et pour rien d’autre que j’ai aimé Numéro Une.
14 octobre 2017