Il y a quelques années encore, j’eusse écrit : Bientôt, grève des enseignants.
Le « ? » aurait été inutile, l’interrogation hors de propos ; le questionnement aurait uniquement porté sur : Demain ? La semaine prochaine ? Le mois prochain ? Au pire Au prochain trimestre ?
Oui mais voilà, tout fout le camp, même chez les enseignants.
Comme les hauts fourneaux de Hayange, les brasiers syndicaux très doucement s’éteignent. Dans les années 80, on était sur une moyenne de 1,5 millions de journées de grève par an ; on est tombé en-dessous de 0,2 million dans les années 2012-2016.
Pour 750 000 profs, cela fait à peine 0,3 jour par an et par tête de pipe (excusez-moi, on ne fume plus en classe, alors par tête d’oeuf).
Misère, misère !
Mais n’est-ce pas là une vision trop simpliste ?
Car j’ai connu, j’ai éprouvé la période luxuriante des grèves abondantes, c’était en l’an de grâce et de grèves 1994. Mais cette année-là c’étaient surtout les lycéens qui grognaient, contre le Contrat d’insertion professionnelle (CIP).
Oui mais voilà, un ami au rectorat m’avait prévenu que le ministre (en l’occurrence le brave François Bayrou) avait diffusé des instructions impérieuses aux chefs d’établissements : rappeler à l’ordre élèves et parents pour les dissuader d’aller aux manifs. Nous nous étions amusés de voir qu’on nous sortait donc la même propagande à 25 ans de distance car en 68 déjà manifs et occupations d’établissements allaient « vous faire louper le bac et ruiner vos carrières ».
Oui mais re-voilà, j’adore les enseignants rebelles, un peu moins les proviseurs compulsivement dociles et leurs adjoints tout autant tremblants à lire les circulaires et directives ministérielles.
Oui mais re-re-voilà, donc comme pressenti nous reçûmes un papier moralisateur, un peu torve, du principal d’un LEP où prospérait l’une de nos filles. Je précise, un LEP de mon Val à moi (pas le Val-de-Grâce, non, le Val-d’Oise), missive un peu oblique qui finissait par clairement nous enjoindre de jouer… les briseurs de grève. Dès lors que ce n’était pas une grève des profs !
L’équipe de Direction et d’Education |
Ce soir-là il y avait Drucker à la télé, j’eus donc loisir à m’amuser et ma plume, je le confesse, trempa un peu dans la soude caustique, frisant l’insolence dans le mauvais sens du poil :
Jamais sans mon livre (de classe)…Madame « l’équipe d’éducation », Vous m’écrivez le 16 mars pour me dire que des élèves, dont peut être mon enfant, « s’absentent du Lycée et violent le contrat éducatif’. « Ils perdent un temps précieux en sacrifiant systématiquement l’une des journées les plus chargées de la semaine, le Jeudi » « Ils déclarent se rendre à une manifestation qui a lieu l’après-midi mais curieusement ils s’absentent toute la journée » « ils font courir le bruit que des enseignants incitent les élèves à quitter les cours. C’est absolument faux ». « Nos rapports avec nos élèves sont en général sains, cordiaux et basés sur la confiance réciproque » « Leur réussite scolaire est en jeu » « L’absentéisme est l’ennemi numéro 1 du Lycéen. » « Nous ne doutons pas que vos inquiétudes sont les mêmes que les nôtres » Rassurez-vous, Mémé l’équipe : nos enfants continueront d’aller aux manifs, mais avec leurs livres, pour réviser entre deux charges de C.R.S. Et merci de votre hauteur de vue, qui nous rappelle une autre époque. Il est surprenant que les jeunes ne vous coiffent pas du bonnet d’âne, comme nous l’avions fait, nous, au temps du plein emploi… C.I.P. C.I.P. C.I.P. HOURRA |
Ma fille en subit, les trois mois restants, des regards mauvais, et des propos indignés en conseil de classe. Quant à moi, me rendant à l’entretien trimestriel d’usage avec le prof principal, j’eus droit à sa plus parfaite amabilité et même à ses sourires radieux… Un insoumis ? Le ver était dans le fruit et regardait Bayrou ?
Il faut dire que dans l’intervalle Balladur un peu mou avait retiré le projet CIP.
Vingt ans plus tard, il arrive encore, par quelque nuit bien noire, qu’une silhouette furtive enrobée d’un long manteau, d’une ample écharpe et d’un sombre feutre, qu’un enseignant donc vienne frapper à ma porte pour me demander une copie du « brûlot »…
25 juillet 2017