2016 12 10 : La supplication – film

Je crois avoir lu tous les livres publiés en français de Svetlana Alexievitch et je doutais qu’on puisse en adapter un seul correctement à l’écran.

Car la méthode de la Prix Nobel 2015 est singulière : elle ne déroule pas un récit linéaire, avec des personnages entrant en scène (je veux dire en page) selon un ordre chronologique évident ; mais elle nous donne à lire des dizaines, des centaines de témoignages qui parlent du sujet sous des angles différents et à des périodes distinctes.

Ces témoignages ne semblent absolument pas travaillés stylistiquement, même si bien entendu le travail d’écriture, pour rester imperceptible, n’en est pas moins exceptionnel. C’est ainsi que le lecteur s’imprègne progressivement du sujet, dans toute sa complexité, par touches complémentaires et parfois contradictoires.

Donc le récit La supplication, et le film de Pol Cruchten qui s’en inspire, parle de la catastrophe de Tchernobyl, ou plutôt de la planète Tchernobyl, cette région qui fut immédiatement coupée du reste du monde et fut condamnée à vivre dans un monde différent du nôtre, avant de s’engloutir et ses personnages disparaitre, notamment les « liquidateurs » dont en plus il ne fallait jamais parler.

Des témoins ont survécu, le livre et le film leurs donnent la parole : des gens ordinaires, des enfants, des scientifiques, des enseignants, des journalistes… Quand ils ne s’expriment pas eux-mêmes, d’excellent acteurs les incarnent : Valentina Timofeïevna (Dinara Droukarova), son mari (Vitaliy Matvienko), une femme (Iryna Voloshyna)…

Et comme dans le livre, on perçoit violemment le pourquoi du titre La supplication : la collection poignante de ces témoignages exprime la prière des victimes, que la vérité soit enfin dévoilée, si elle peut encore l’être ; que la chape de silence qui est comme une deuxième mort, comme un autre sarcophage ensevelissant les survivants aussi sûrement que les morts, se dissipe un jour.

Afin que leurs voix soient entendues, que le mensonge et la propagande (qui vinrent jusqu’à nous, n’est-ce-pas : n’avions-nous pas été épargnés par le nuage radioactif ?) soient enfin démasqués.

Incroyablement, il y a dans ce film, comme dans le livre, des beautés, de la poésie, du rêve, une dimension esthétique de l’épouvantable catastrophe. C’est un effet de l’art incroyable oui ; dans le film comme dans le livre.

10 décembre 2016

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