L’Iran, ce grand pays, cette immense civilisation, ce peuple fier, parcouru et raconté des années 50 à nos jours, de l’intérieur puis de l’émigration, par trois générations d’Iraniens, d’Iraniennes surtout, car ce sont les femmes qui ont le meilleur rôle dans ce roman, peut-être un peu autobiographique.
Tout au long du livre j’ai eu l’impression, vraie ou fallacieuse, de lire ces chapitres comme on écoute parler certains Iraniens.
J’en connus quelques-uns dans ma jeunesse militante, las que sont-ils devenus ? Sympathisants du Parti communiste iranien tendance maoïste, ils supputaient prochaine la chute du Shah et pleins d’espérances et d’illusions m’exposaient qu’ils rentreraient immédiatement à Téhéran car la révolution suivrait immédiatement et ils ne voulaient pas laisser le champ libre aux réactionnaires religieux.
S’ils firent ce qu’ils se promettaient, alors la « révolution » qui survint fut celle de l’ayatollah Khomeiny qui très vite liquida ces opposants à la dictature du Shah avant qu’ils ne le deviennent à la sienne.
Or donc je reviens à mon propos littéraire : quand on écoute parler certains Iraniens, ils font ce que je viens de faire, d’incessantes digressions mais dans un style parlé captivant et fleuri. La Perse n’est-elle pas la terre d’origine des inlassables conteurs ?
Négar Djavadi s’y livre aussi, puisque le fil historique de son roman est noué de nombreuses pauses où elle médite sur le sens et l’utilité de l’engagement et du militantisme politique, mais aussi sur l’acculturation plutôt douloureuse des Iraniennes en France, voire même sur la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels.
Mais Négar Djavadi nous a prévenus d’emblée dans une fière introduction :
« Tout ce que je sais c’est que ces pages ne seront pas linéaires. Raconter le présent exige que je remonte loin dans le passé, que je traverse les frontières, survole les montagnes et rejoigne ce lac immense qu’on appelle mer, guidée par le flux des images, des associations libres, des soubresauts organiques, les creux et les bosses sculptés dans mes souvenirs par le temps. Mais la vérité de la mémoire est singulière, n’est-ce pas ? La mémoire sélectionne, élimine, exagère, minimise, glorifie, dénigre. Elle façonne sa propre version des événements, livre sa propre réalité. Hétérogène, mais cohérente. Imparfaite, mais sincère. Quoiqu’il en soit, la mienne charrie tant d’histoires, de mensonges, de langues, d’illusions, de vies rythmées par des exils et des morts, des morts et des exils, que je ne sais trop comment en démêler les fils. »
Négar Djavadi refuse d’ailleurs toute acculturation mutilante : elle navigue donc entre ses deux cultures, ses deux pays, et les mots et tournures des deux langues… et nous avec, pour notre grand bonheur.
23 novembre 2016