Edito DH n° 129 novembre-décembre 2009 : Attention ! Un train peut en cacher un autre…

Ce qui s’est passé fin décembre sur les lignes ferroviaires mérite notre attention. Certes, comparaison n’est pas raison ; mais l’immense Claude Lévi-Strauss qui vient de nous quitter montrait comment, de structures différentes par la forme, l’évolution et le contenu, les lois d’association et de dissociation peuvent révéler les similarités systémiques.

Donc la SNCF : ce symbole identitaire de la Nation française, pur exemple de la Résistance au nazisme avec la Bataille du rail, où va-t-elle ? Sans ici redétailler les vicissitudes de milliers de voyageurs, notre cruauté se limitera à citer deux points de l’Engagement de la SNCF : « 5. Aide en situation perturbée : Les voyageurs qui subissent un retard de plus de 30 mn doivent se voir aider par le chef de bord ou le personnel d’accueil pour assurer leur acheminement et faciliter les correspondances. Les voyageurs des TGV et trains Corail peuvent recevoir, si nécessaire, une collation. 6. Engagement horaire garanti : Les voyageurs des TGV et trains Corail qui subissent un retard de plus de 30 mn dont la cause est imputable à la SNCF doivent recevoir une compensation en “Bon-Voyage” représentant le tiers du prix du billet. Les situations perturbées exceptionnelles bénéficient d’un traitement particulier. »

Mais nous ? Le Programme du Conseil national de la Résistance indiquait sobrement : « La Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé et la sécurité matérielle » ; était-il question de franchises ou de distinguer entre Français et étrangers, réguliers ou pas ?

En 1997, brandissant une directive européenne de 1991, les têtes d’œuf de Bercy inventèrent une usine à gaz séparant la prestation transport, dévolue à la SNCF, et l’infrastructure ferroviaire confiée à RFF, Réseau ferré de France, par la loi n° 97-135 du 13 février 1997 intitulée – ça ne s’invente pas – « en vue du renouveau du transport ferroviaire ». Quel renouveau pour nombre de lignes, insuffisamment entretenues, où les trains circulent aujourd’hui moins vite qu’hier !

Mais nous ? En 1975 la séparation sanitaire / social  partait d’une soi-disant bonne idée, faire échapper le médico-social à l’indifférence d’un mandarinat hospitalier uniquement préoccupé de ses disciplines « nobles ». Elle a induit en gériatrie ce que l’on sait : le retard de la France sur les pays comparables et un secteur public qui se fait damer le pion par le secteur privé marchand…

Il y a peu encore, les « experts » SNCF nous sommaient de reconnaître que si la desserte des banlieues devenait innommable (« mais l’Etat ne veut ni porter les tarifs du RER au niveau de rentabilité, ni le subventionner correctement ; et ces loubards qui détériorent tout… »), nos TGV constituaient un fleuron envié du monde entier. Aujourd’hui, TGV comme TER ont les caténaires qui flanchent…

Mais nous ? Quarante années durant, le taux de reconduction budgétaire des CHU augmenta davantage que celui des hôpitaux locaux… pour qu’aujourd’hui les premiers connaissent un déficit plus grave que les seconds ; quant au fleuron AP-HP, d’en parler je m’abstiens pour ne pas désespérer Victoria…

En 1995, les gestionnaires SNCF « incitèrent » par convention les régions à mettre la main à la poche : « si vous voulez garder vos lignes secondaires, cofinancez, cofinancez. »

Et nous ? Demain on ne résistera pas à l’envie de légiférer pour le sanitaire le même transfert de charges, d’ailleurs déjà largement engagé pour le handicap et les personnes âgées.

A partir de 2003, la SNCF, soucieuse quand même de son image, lança un slogan « Les exigences de tous les voyageurs sont au cœur de nos préoccupations » et sortit de son chapeau une Charte, une Médiation, une Convention d’Engagement avec des associations, et même La révolution pour le client…

Et nous ? Cette logorrhée ne nous rappelle rien ?

En 2003 toujours, la SNCF s’engagea dans une démarche de certification “NF Service”. Pour autant la qualité, la vraie, celle constatée par le client, s’améliora-t-elle véritablement ?

Et nous ? Alors que la démarche qualité fut à l’hôpital l’innovation majeure de la fin du siècle dernier, dans quelles procédures ingérables ou non reproductibles en routine ne s’épuise-t-elle pas ?

Pour l’avenir, il n’est donc pas besoin de fantasmer sur un ténébreux complot qui viendra assassiner les services publics, du rail ou de la santé : il suffit de les laisser l’un et l’autre pourrir sur pied, faute de réforme systémique, de vraie décentralisation, de financement pertinent et par déficit démocratique. Quand l’usager grondera, on fera valser quelques têtes (Mmes & MM. les futurs DARS, votre rôle est écrit et vos destins tracés). Puis de clamer qu’une large ouverture au privé est « évidemment » nécessaire, dans ce monde ultralibéral dont aucune crise ne semble écorner l’insolente certitude d’être l’avenir de l’homme.