L’éditorial de notre numéro 103 (octobre 2005) était intitulé Nous sommes-nous fait avoir ?
Aujourd’hui, maintiendrions-nous le point d’interrogation ? Rien n’est moins sûr. Nos conversations récentes avec des présidents de CME, des praticiens et des cadres de santé attentifs à l’évolution des structures hospitalières font en effet ressortir une forte tendance à un brutal désenchantement vis-à-vis de la nouvelle gouvernance.
Certes les communautés médicale et soignante continuent malgré tout de vouloir entrer dans une logique de pôles et de codécision, parce qu’elles sentent bien qu’il n’y a pas d’autre issue pour faire tomber les cloisonnements qui entravent nos actions et brident nos énergies. Mais l’enthousiasme n’y est guère…
Quant à la situation budgétaire, on lira ci-après le constat mesuré mais accablé qu’en a dressé Claude EVIN lors d’une récente conférence de presse : un déficit d’entrée d’exercice jamais atteint auparavant. Encore plus inquiétant peut-être : des mécanismes de campagne budgétaire tout neufs (et fort complexes au demeurant) qui semblent remisés et remplacés par un « coup par coup » fébrile. Un navire T2A qui, lancé hier à toute vapeur pour affronter le grand large d’une « compétitivité » retrouvée, est déjà en fort mauvaise passe, entre le petit clapot des effets d’annonce et le méchant ressac de l’arbitraire. Le principe d’annualité budgétaire a déjà sombré et la maîtrise médicalisée est à la dérive.
Arbitraire ? Le mot n’est-il pas excessif ? Mais lorsque tout uniment on baisse de 1 % les tarifs 2006 au seul motif d’une « suractivité 2005 », on piège vilainement les hospitaliers. On rouvre le mauvais et stupide procès contre l’augmentation d’activité, qui hier était « un vice » et demain va le redevenir. Or la T2A, ses promoteurs nous la présentaient comme une vraie rupture conceptuelle, stimulante puisque les gains d’activité allaient être enfin reconnus et gratifiés… comme une vertu ! Alors qui croire, quelle phrase du discours, et à quel moment ? Le président de la FHF souligne à juste titre qu’on ne s’y prendrait pas mieux si l’on voulait plomber les réformes.
Votre serviteur ne peut s’empêcher de songer avec morosité, malgré le printemps qui point enfin, malgré l’arrivée d’Hôpital Expo qui va rassembler chaleureusement les hospitaliers et donner sève à leur réflexion, qu’il va falloir attendre, attendre encore un an, puisque les politologues affirment que, dans les 12 mois précédant l’échéance présidentielle, le pouvoir hait le mouvement qui déplace les lignes…
Parce que nous redoutons l’enclave du corporatisme [1] – enfermement toujours possible d’autant qu’on nous y pousse obstinément – ce qui nous consterne le plus dans cette affaire, c’est que l’abattement de 1 % n’est pas même argumenté. Alors qu’il eut été peut être possible de démontrer, chiffres en main, qu’il correspondait à un gain réel de productivité. Que donc les établissements vertueux n’y perdaient rien, cette baisse de rémunération étant neutralisée par celle de leurs coûts.
Du reste, les hospitaliers ne sont ni naïfs ni angéliques : ils savent bien qu’on ne pourra indéfiniment financer à crédit la hausse continuelle des dépenses de santé socialisées. Ils se doutent qu’à défaut de reconsidérer le périmètre des soins éligibles à la solidarité et recentrer les enveloppes sur les vraies priorités de santé et du social… on va aller, directement ou obliquement, vers un « chacun pour soi » qu’une pensée économique dogmatique mais dominante appelle de ses vœux.
Ils n’ignorent pas que dans un an… ou juste un peu plus tard, les options et le débat en matière de santé ne porteront plus sur un taux d’augmentation plus ou moins généreux de l’ONDAM, mais uniquement sur sa répartition contingentée, entre secteurs non marchand et privé lucratif, entre prévention et curatif, entre soins de base et soins subsidiaires, entre renforcement de la solidarité ou éparpillement dans le saupoudrage. Dans un an, pas avant…
[1] à propos de corporatisme : le DARH de Bourgogne, Michel Ballereau, a déclaré « qu’une solution pourrait venir de l’ouverture du corps des directeurs d’hôpital à des professionnels issus d’autres d’horizons » et Philippe Ritter, DARH d’Ile-de-France, a déploré « l’absence de sanction réelle dans la pratique professionnelle des directeurs ». Vous voilà prévenus, chers collègues…