Chers lecteurs, si vous saviez combien il est agaçant d’écrire dans un bimestriel et subir en outre d’incompressibles délais de composition et d’impression ! Il faut donc s’y prendre plusieurs semaines à l’avance. Ainsi cet éditorial, mis sur le métier début mars : je l’avais déjà pourvu d’un intitulé. Qui s’avère impossible à conserver aujourd’hui, car à l’ultime moment de remise à l’imprimeur, il me pose d’insolubles problèmes de ponctuation. Qu’aurais-je dû en effet postposer après ce titre « Exit Mattei » : un « ? » périmé, quelques « … » prudents ou un « ! » cruel ? Ah que les temps sont difficiles. Au demeurant, une telle question peut-elle être décemment énoncée dans un tel magazine ? Elle ne le sera donc pas. Alors posons-en d’autres.
Tenez, par exemple : faut-il toujours, faut-il encore réformer l’hôpital ?
Mais tous les acteurs, sursautez-vous, répondent OUI ! Sans hésitation aucune ! Vivement la réforme ! Les médecins sont las de l’attendre, les soignantes l’espèrent, les gestionnaires (quel vilain mot décidément) l’implorent, les financeurs la veulent dure et rigoureuse, les tuteurs in petto la souhaitent un brin autoritaire, les libéraux la désirent libre-échangiste et les syndicats la rêvent encore acquise à d’intangibles avantages. Un sondage sortie des urnes (CSA 28 mars) montre que 45 % des électeurs, nonobstant leur vote de défiance, souhaitent la poursuite « des réformes annoncées ». Là-dessus, unanimité émouvante, quoique subtilement ondoyante, des politiques et des experts.
Cependant un autre sondage (CSA-L’Expansion-France-Info 25 février) … prétend que d’une réforme hospitalière, les Français ne veulent pas et à 80 % s’il vous plaît ! Du coup M. Jacques Barrot, météorologue averti et hypersensible, sinon aux canicules en tout cas aux changements du vent et aux clapots précurseurs de méchantes houles, s’empresse… de ne plus être pressé de les réaliser toutes, ces réformes. Celle de la sécurité sociale doit passer perinde ac cadaver, c’est du sérieux ; mais celle de l’hôpital pourrait être « élaguée » ou « attendre un peu ». Espérons que l’hôpital échappera à cette abracadabrantesque tentation d’attentisme…
Mais alors, comment s’y prendre ? Ces temps-ci, quoi que fassent les ministres, leurs annonces réformatrices rencontrent l’hostilité. Si l’un communique d’entrée de jeu les objectifs et limites de son projet, tous de réprouver qu’alors les jeux soient faits et les dés pipés d’avance. Mais qu’un autre plus circonspect n’affiche a priori aucun but explicite, les mêmes de suspecter d’occultes desseins et d’inavouables intentions. « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment » écrivait le Cardinal de Retz ; mais quand on y demeure… c’est pire.
Se pose à l’évidence une énorme question de méthode. Manifestement, celle des consultations au sommet ne marche plus, ne suffit plus à endiguer la marée des inquiétudes. Certains moquèrent, jadis, le « Tour de France » de Jack Ralite ou celui d’Edouard Couty (j’ignore si ce rapprochement purement contextuel enchantera l’un ou l’autre…). Pourtant ces cheminements avaient permis, au moins partiellement, aux projets législatifs de s’accorder aux attentes du public. Mais en amont, le contenu politique des réformes préparées conditionne évidemment la faisabilité de cette démarche. Sur la refonte de la sécurité sociale… ce ne sera pas triste. Mais pour la réforme hospitalière, n’y a-t-il pas dans les rapports et réflexions de ces derniers mois suffisamment d’idées fortes pour ne pas redouter leur mise en débat publique ? On aurait tort de ne pas céder quelquefois à l’optimisme.
En voici une raison, un exemple : aux présidentielles et législatives de 2002, les observateurs avaient tous noté que les enjeux sanitaires et sociaux étaient lamentablement absents du débat politique. Aujourd’hui, nul ne peut nier qu’ils y sont installés en position centrale et durable. La question de l’hôpital enfin s’est extraite des controverses uniquement techniques et économiques. Quel démocrate s’en plaindra ?