Edito DH n° 92 novembre 2003 : Emplois fictifs

Lecteur, rassure-toi : DH Magazine ne va pas de sitôt jeter aux orties son neutralisme politique et s’inviter aux audiences huppées quoique correctionnelles de tel ou tel tribunal, ni s’héliporter aux himalayesques cimes où l’ivresse des hautes altitudes fait perdre tout sens commun.

D’emplois fictifs, nous allons pourtant cruellement t’entretenir ; car, paradoxe, ils existent, tu les as rencontrés ! Non, par définition, dans les couloirs de nos unités de soins, dans les salles d’accueil des urgences, encore moins dans les services d’hébergement de personnes âgées. Mais tu ne peux plus ignorer leur présence entêtante et de plus en plus malséante dans le flot des circulaires et le flux des discours gouvernementaux.

Car il apparaît que nos ministres, en tout cas plusieurs d’entre eux, renouent avec l’exécrable affichage de « créations » d’emplois non financés, d’annonces de moyens « supplémentaires » qui pour être sonnantes ne sont pas trébuchantes, et de mises en perspective astucieuses pour ne pas dire artificieuses.

Naguère nous advint une forme inédite de virtualité ou de volatilité des trop humaines ressources : celle des emplois bel et bien inscrits au tableau des effectifs et dûment budgétés… mais non pourvus faute de candidats réels et de postulants tangibles. De quoi faire surgir un nouveau concept jurisprudentiel : après la subtile théorie de l’imprévision par bouleversement des conditions du marché, voici déjà corroborée celle de l’imprévision par errements d’ARTT.

Ensuite pointa le nez du jésuitisme avec Hôpital 2007, qui puisait une partie de ses crédits « nouveaux » dans la caisse du préexistant FMESPP. Qui additionnait allègrement carottes au comptant et choux à crédit, subventions directes et prise en charge des frais financiers (ce n’est certes pas rien, mais il faudra bien rembourser le capital du prêt, donc… restituer plus tard d’une main ce qu’on a aujourd’hui emprunté de l’autre).

Quant à l’ONDAM 2004, tout hospitalier instruit aux austères mais implacables logiques de la comptabilité publique sait en traduire in concreto l’irrémédiable conséquence. Puisque le taux de reconduction est inférieur, une fois encore, une fois de plus, une fois de trop, à celui de la progression mécanique des prix, services, salaires, charges et autres GVT-solde, le maintien des emplois permanents ne sera pas assuré.

Ou alors… fictivement. C’est-à-dire, fors jargon bureaucratique, par de trop réelles suppressions de mensualités de remplacement, de crédits de formation, d’emplois d’insertion ou aidés. Ou par étalement de la énième tranche de tel protocole d’accord. A moins de carrément le gager par ponction (en l’occurrence le terme « distraction » serait totalement inapproprié eu égard à la préméditation du geste) sur les enveloppes « supplémentaires » médiatiquement allouées au titre d’une des multiples actions ciblées ou fléchées et destinées en principe à financer des emplois nouveaux. Lesquels, du coup… ne le seront plus. Et l’épithète « fictif » d’être ainsi circulairement démontré, ou obliquement imposé, c’est selon.

Voyez le Plan urgences et ses emplois annoncés, à propos desquels on s’empresse de stigmatiser l’agitation excessive du Dr Pelloux : on vous murmure que l’urgentiste est alarmiste, que ce Plan est sincère et véritable, que les postes qu’il comporte sont dûment financés. Et comment donc, votre honneur ? Mais par l’ONDAM ! Sur cette enveloppe qui, avec 4,2 % de croissance, peine déjà à pérenniser les emplois courants, sans parler du Plan cancer…

Approchez, approchez et devinez : où est-il l’as de cœur des nouveaux emplois ? Sous cette carte ? Celle-ci, celle-là ? Désolé mesdames, désolé messieurs, vous gagnerez… la prochaine fois. DDASS et ARH, réserve oblige, se prêteront non sans componction ni contorsions à ce bonneteau budgétaire. L’opinion publique sera-t-elle éberluée voire époustouflée par l’entourloupe ? Ceci est moins sûr.

Etait-il donc impossible de tenir langage de vérité et d’annoncer les chiffres réellement supportables, réalistement réalisables, dans une démocratie où c’est pourtant le Parlement, représentant direct de la volonté populaire, qui politiquement assume en l’arrêtant le budget de la santé ? L’occasion, qui fait de moins en moins de larrons, est hélas une fois encore en passe (passe) d’être escamotée.