Il advient à la plupart des locutions que leur sens s’estompe ou s’affadit à l’usage ; celle de ressources humaines n’y échappe pas. Pourtant, le vocable vaut d’être pris dans sa force première s’agissant de nos établissements qui, pour l’essentiel, valent ce que valent leurs personnels. L’immense développement des outils techniques et dispositifs médicaux des dernières décennies ne remplace pas celles et ceux qui les servent ou les mettent en œuvre… Banalité, direz-vous, lieu commun digne d’une allocution de nouvel an ou d’inauguration ? Oui, sauf que… Sauf que nous, directeurs, sommes loin d’en tirer toutes les conséquences, de l’intégrer complètement dans nos politiques, projets, stratégies et même dans nos comportements quotidiens, bref d’être décideurs entièrement lucides et éclairés.
N’est-il pas symptomatique que le législateur soit contraint, ces jours-ci, de consigner au code de la santé publique que nos projets d’établissement doivent comporter obligatoirement le projet social que « nous » oublions d’y inscrire ? Ou de constater que ce même législateur vote et revote, tous les 5-6 ans, une loi emploi précaire, véritable voiture-balai d’un peloton social que « nous » laissons s’effilocher ? Certes, de plus optimistes ou indulgents remplaceront le « nous » des phrases qui précèdent par « certains d’entre nous » voire « quelques-uns uns d’entre nous »…
Alors, observons une carence moins flagrante, mais plus largement partagée : cette curieuse conception que nous avons des cadres, hypertrophiant l’encadrement administratif au détriment des cadres soignants. Ainsi, dans la plupart des petits ou moyens établissements, tenons-nous les chefs de bureau pour collaborateurs privilégiés du directeur et —exemple formel mais éclairant— les invitons à ce titre au conseil d’administration. Fort bien, rien à redire ; mais combien sommes-nous à en faire autant… pour les cadres infirmiers qui ont pourtant un rôle objectivement plus important, dès lors qu’on veut bien désacraliser la fonction bureaucratique et placer le malade au centre de nos systèmes d’organisation autrement qu’en paroles ?
Ce faisant, paradoxalement, nous confortons l’idée reçue, accréditons l’opinion (naïve ou maligne, c’est selon) qu’en privilégiant la catégorie de cadres dont nous nous sentons la plus proche —peut être sans le dire, mais nos actes sont éloquents— nous ne sommes que des directeurs administratifs, adjectif évidemment réducteur que nous refusons pourtant avec une noble indignation… Or, les cadres infirmiers sont les clés de voûte des services de soins ; sans elles[1], aucun management digne de ce nom ne peut être seulement ébauché ; sans elles, adieu la vraie démarche qualité ; sans elles, les directeurs sont désarmés et les praticiens orphelins ; sans elles, aucun projet de service, de département, d’établissement, n’a de colonne vertébrale.
Certes, nous directeurs, ne sommes pas seuls fautifs : malgré la lente émergence du service de soins infirmiers, la réglementation ne donne pas à ces cadres les compétences qu’elles méritent et l’article L. 6145‑16 ne nous permet pas de les désigner responsables en contractualisation interne ; le corps médical n’est pas toujours enthousiaste à l’idée d’accroître leurs pouvoirs, craignant que ce soit au détriment des siens. Et, puisque le vocabulaire ici fait sens, nos cadres soignantes traînaient encore comme un misérable boulet, jusqu’à ces derniers jours, les dénominations archaïques et ridiculement obsolètes de « surveillantes » et « surveillantes-chefs[2] » …
Mais balayons devant notre huis directorial : nous sommes largement responsables, par inertie, manque d’intérêt, voire hostilité, de la persistance d’un management aussi poussif. Le privilège de l’âge me permet de me souvenir, et donc de rappeler aux plus jeunes d’entre nous, que lorsqu’il s’est agit, il y a… 25 ans, de créer le grade et surtout la fonction d’infirmière générale, la majorité ou en tout cas la minorité non silencieuse des directeurs s’est offusquée de ce projet ministériel qui allait ruiner notre autorité… puisque cette infirmière générale aurait le pouvoir, non pas de nommer —horresco referens— mais simplement d’affecter le personnel soignant !
Depuis, nous avons changé de siècle ; subséquemment changeons d’attitude et de pratiques, puisons dans ces ressources, faisons confiance, déléguons largement aux cadres soignants : alors nos établissements vont changer et —ce qui ne gâte rien !— sans que cette mutation leur soit imposée de l’extérieur…
[1]-Admettons-le, nous aurions du écrire « sans elles et sans eux », voire « sans eux ». Mais foin de formalisme, les femmes sont tellement majoritaires dans ces fonctions que, pour une fois, nous ferons du machisme (grammatical) à l’envers !
[2]-Il est vrai que, question terminologie, l’administration centrale a parfois fait fort. Qui ne se souvient de la valorisante appellation générique, pour les AS et ASH, de « personnel secondaire des services médicaux » ?