2021 01 27 : Les jumeaux – petite fable bio (parfois véridique dans ce monde moderne)

J’ai deux amis très anciens que je revois régulièrement :

Castor et Pollux qui naquirent le même jour d’une quelconque année babyboomesque, de la même mère, jumeaux donc et monozygotes sans doute.

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Castor , dans la première partie de sa vie, fut prévoyant : il étudia un peu, puis se maria, eut bientôt des enfants, entra dans la vie active et décrocha un emploi stable correctement rémunéré afin d’épargner et put emprunter en vue d’acquérir un appartement et une maison de campagne.

Pollux : idem.

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Castor fit tout pour ses enfants : il leur assura études, loisirs, vacances, accès à la culture. Ensuite, quand ils volèrent de leurs propres ailes, il leur donna, soit la maison à la campagne, soit la voiture, soit un petit capital.

Pollux fit tout pour ses enfants : il leur assura études, loisirs, vacances, accès à la culture. Ensuite, quand ils volèrent de leurs propres ailes… ils se débrouillèrent.

.Castor une fois en retraite, un toit sur la tête, un revenu mensuel garanti, se débarrassa de ses biens, placements, voitures, meubles et objets superflus, des revenus excédant ses besoins. Il n’avait aucun mérite et ne prenait aucun risque, puisque n’ayant plus personne à charge. Son revenu disponible ? 1 100 € mensuels. Son épargne à ce jour ? 4 300 €, juste de quoi faire face à un incident de plomberie ou une rénovation électrique.

Pollux une fois en retraite, un toit sur la tête et un revenu mensuel garanti, investit dans d’autres biens, meubles, objets de luxe, actions, bijoux, lingots, sans négliger son train de vie : restos de prestige, grands voyages, fringues de marque, belle bagnole. Ses placements à ce jour : 325 000 €.

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Castor bénéficia d’un évènement imprévu : un petit héritage qu’il transféra à ses enfants et à des associations.

Pollux bénéficia d’un évènement depuis longtemps escompté : un petit héritage qui lui permit d’acquérir un petit studio parisien pour le louer en Airbnb.

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L’un est parfaitement heureux, devinerez-vous lequel ?

Celui qui consume son temps libre à suivre les cours de bourse, visiter son banquier chaque mois pour redistribuer ses placements, se précipite à la fenêtre au moindre bruit (et si des voyous s’en prenaient à son auto ?), frémit aux variations de l’or, du diamant, des prélèvements fiscaux, étouffe sa sourde mauvaise conscience en voyant les malheureux réfugiés dans la boue et le froid et les files s’allonger devant les Restos du cœur, cauchemarde à la moindre annonce de manifestation ou protestation populaire ?

Celui qui chaque jour vibre à une musique qu’il ne connaissait pas, se replonge dans une musique aimée, se rassasie de lectures, s’enivre de poésie, se précipite à la fenêtre pour surveiller les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages et les mouettes qui glissent l’aile sous le vent, frémit aux appels d’une charmante amie, s’oblige chaque matin à se tenir encore un peu droit en allant proposer quelque service aux réfugiés dans la boue et le froid, rêve secrètement de choses inavouables, inavouées… évanouies désormais, mais si émouvantes à se remémorer, songe avec une sereine nostalgie aux parents et amis disparus, se réjouit de l’emploi que fait la jeunesse des transferts de patrimoine qu’on daigne lui consentir ?

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Je vous entends dire « L’un est plus con que l’autre, voilà tout ! » [1]

Ah non ! Ne jugez pas ; ce n’est d’ailleurs pas la clé de leur différence, puisqu’ils sont jumeaux, donc dotés d’un intellect à peu près identique.

Mais l’un en a vu, il en a vu, des jeunes gens sympas, ouverts, intelligents, cultivés… devenir en vieillissant radins, égoïstes, mesquins. Peureux de l’avenir, angoissés par l’inconnu, paniqués de déchoir en vieillards nécessiteux comme on en voyait tant jusqu’aux années 80. Et souvent il entendit des amis de sa génération dire « ah ! mais moi je ne deviendrai pas comme ça ! ».

Foutaise ! Biologiquement, donc indépendamment de notre volonté et de bonnes résolutions, notre caractère, notre esprit, notre cœur, vont vieillir et se racornir, aussi irrémédiablement que nos muscles, nos yeux ou le reste. Il s’inquiéta : n’étant pas surhomme ou génie, sans doute vieillirait-il de même.

Alors il anticipa, comprit à temps, juste à temps, que c’est avant d’être trop vieux qu’il faut s’organiser une vie simple et sobre, transférer aux autres ses biens et revenus superflus. Et opérer cela de façon irréversible.

Il lut attentivement Pierre Rabhi que de pontifiants économistes qualifient d’utopiste, il écouta soigneusement Greta Thunberg que d’infects crétins traitent de demeurée.

Il comprit que le vrai Castor, c’est celui qui épargne, non des biens, lingots et objets, mais l’air, l’eau, le sol, la planète ; que le vrai Pollux, c’est ce « demi-dieu » pseudo démiurge d’une économie folle, qui pollue, ruine et menace notre bien commun : la Terre.

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L’un est parfaitement heureux, mais alors heureux ! Sans nuage, sans ombrage, sans dommage, évidemment sans regret ni remords. Et vous savez maintenant lequel… ainsi que son comment et son pourquoi.

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27 janvier 2021

[1] Vous observerez, amie-ami, que je ne précise pas lequel des deux, dans votre interjection, est désigné comme le con : la cigale ou la fourmi ? je respecte votre diversité d’opinion, puisque dans la vraie vie j’ai des amies-amis défenseurs de l’un… ou de l’autre.