Depuis six mois j’écoute sans me lasser le dernier CD de Khatia Buniatishvili jouant et dirigeant la merveilleuse Academy of St Martin in the Fields et consacré à trois œuvres célèbres de Mozart : le concerto pour piano n° 20 en ré mineur K 466, le concerto pour piano n° 23 en la majeur K 488 et la sonate pour piano n° 16 K 545.
J’ai évoqué maintes fois ici la grande pianiste, que j’ai découverte par hasard sur une radio musicale en 2009 et dont je tente de ne pas manquer les concerts en France (lorsqu’ils ne sont pas complets, tant mieux pour elle hélas pour moi !).
J’ai tant parlé depuis dix ans de son talent musical que ce soir, pour changer un peu à son propos, je vais parler politique, et de la politique la plus sinistre.
Pour cela, célébrer la pianiste russe Maria Yudina (1899-1970) : pour qui ne la connait, ce fut une pianiste d’exception, dans cette Russie qui en comptait pourtant plus que tout le reste du monde. Très jeune elle fut reconnue pour son immense talent par les milieux musicaux russes qui avaient alors la meilleure oreille du monde : elle devint successivement professeur dans des instituts prestigieux : conservatoire de Petrograd, conservatoire de Moscou, puis institut Gnessine.
Mais bien vite aussi les ennuis commencèrent pour elle car elle affichait d’insupportables tares : convictions religieuses, critiques du régime soviétique, défense de la musique moderne (Chostakovitch, Stravinsky) et elle était de parents Juifs… Elle se fit donc souvent renvoyer et ne put jamais voyager à l’étranger malgré sa renommée internationale.
Quel rapport direz-vous avec Khatia Buniatishvili ? Maria Yudina fut professeure deux ans (1932-1934) au conservatoire de Tbilissi en Géorgie, où Khatia fut élève de 2004 à 2006.
Très mince point commun, direz-vous. Laissez-moi finir. Dans son dernier CD Khatia offre donc le concerto pour piano n° 23 en la de Mozart. Quatre-vingts ans auparavant, un soir de 1943, Maria Yudina l’interprétait et le concert était radiodiffusé ; et ce soir-là Staline l’écoutait, en signant comme chaque soir les longs décrets de condamnations à mort ou à la déportation. Enthousiasmé, il exigea qu’on lui apporte l’enregistrement. Il n’y en avait pas eu ; on réveilla donc la pianiste et l’orchestre pour leur faire enregistrer le concerto avant le lever du jour. Staline accorda en gratification une forte somme à Maria Yudina, qui lui écrivit qu’elle donnerait cet argent à son église pour prier pour son âme en raison des crimes qu’il avait commis contre le peuple russe. Par miracle il n’y eu pas de représailles !
Aujourd’hui, la Russie n’est plus soviétique, mais reste aux mains d’un tyran empoisonneur, assassin et cynique, lequel après avoir suscité en Géorgie des mouvements séparatistes pro-russes dans deux régions a télécommandé récemment la mise en place d’un premier ministre à sa botte (prémisses de ce qu’il recommença en Ukraine). Je devine que Kathia la Géorgienne déteste Poutine le Russe tout autant que Maria la Russe exécrait Staline… le Géorgien.
Mais j’en reviens à la musique, à Mozart et à son œuvre pure, jouée parfois hélas de manière mièvre. Là, vous entendrez au contraire que Khatia comme Maria mettent en avant sa vigueur, sa force d’âme… bref une interprétation musicale très politique !
Lecteur audioMozart – concerto pour piano n° 23 en la majeur K 488 II Adagio
Maria Yudina & orchestre symphonique de la Radio de Moscou 1943
Mozart – concerto pour piano n° 23 en la majeur K 488 II Adagio
Khatia Buniatishvili & Academy of St Martin in the Fields 2024
28 mars 2025