2024 10 06 : Ni Chaînes Ni Maîtres – film

Ce premier film de Simon Moutaïrou est magnifique, terriblement magnifique.

Magnifique car filmé dans les paysages admirables de l’île Maurice, là où se situe son intrigue.

Terrible car il nous montre en images tour à tour superbes et épouvantables (mais sans scènes d’horreur inutilement excessives) les cruautés de l’esclavagisme qui assurait au milieu du XVIIIe siècle la prospérité des planteurs de canne à sucre blancs, un enfer béni par l’Eglise et protégé par l’impitoyable Gouverneur de ce territoire alors dénommé Isle de France.

Deux Noirs, Massamba le père (Ibrahima Mbaye Tchie) et Mati sa fille (Anna Thiandoum), sont esclaves dans la plantation du sordide Eugène Larcenet (Benoît Magimel) et y vivent misérablement, dans la peur constante et le travail mortifère.

Massamba est partisan d’une attitude accommodante, qui pourrait aboutir à l’affranchissement de sa fille, perspective moins risquée que la mutilation ou l’exécution des « marrons », esclaves fugitifs presque toujours repris.

Mais sa fille ne partage pas cette modération ; et une nuit Mati s’enfuit.

Madame La Victoire (Camille Cottin), chasseuse d’esclaves aussi efficace et impitoyable qu’illuminée par une foi dévoyée, est alors mandée pour la traquer. Connaissant l’efficacité de cette sorcière, Massamba décide de s’évader à son tour pour retrouver sa fille et l’aider dans sa fuite.

La suite est d’une indicible tendresse et d’une épouvantable dureté, d’autant plus significatives l’une et l’autre que fondées sur des faits historiquement avérés.

La musique d’Amine Bouhafa est magnifique.

Quand à sa dimension politique, ce film est précieux car rare : rarement en effet sont montrés sans aucun fard les méfaits criminels que notre civilisation fut capable de perpétrer en presque unanime bonne conscience.

Rarement les narrations sur le colonialisme sont totalement désembourbées d’un déni hypocrite. Car nous allions, n’est-ce-pas, faire travailler sans état de notre âme ces sauvages qui eux n’en n’avaient pas ; et au mieux les quelques « penseurs » qui leurs en reconnaissaient une, d’âme, se fixèrent comme noble mission d’apporter aux indigènes le secours de notre foi et les lumières de notre civilisation ; de Condorcet à Jules Ferry, et s’obstinent encore aujourd’hui à l’affirmer quelques réactionnaires.

Sortant du cinéma, je lus une preuve de cette persistance du déni : tout en circonspection élogieuse, l’infâme Journal du Dimanche du catho intégriste Bolloré crachait in cauda venenum que le scénario était « minimaliste et manichéen ».

6 octobre 2024