Spleen et idéal : VII – LA MUSE MALADE

Ma pauvre muse, hélas ! qu’as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour réfléchies sur ton teint
La folie et l’horreur, froides et taciturnes [1].

Le succube [2] verdâtre et le rose lutin [3]
T’ont-ils versé la peur et l’amour de leurs urnes [4] ?
Le cauchemar [5], d’un poing despotique [6] et mutin [7],
T’a-t-il noyée au fond d’un fabuleux Minturnes [8] ?

Je voudrais qu’exhalant [9] l’odeur de la santé
Ton sein de pensers [10] forts fût toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rhythmiques,

Comme les sons nombreux [11] des syllabes antiques,
Où règnent tour à tour le père des chansons,
Phœbus [12], et le grand Pan [13], le seigneur des moissons.

Lecteur audio

Georges Chelon 1997

Charles Baudelaire, 1847 par Gustave Courbet Musée Fabre, Montpellier

[1] Au sens de : sombres.
[2] Démon qui revêt une apparence féminine afin d’entretenir des rapports sexuels avec un homme.
[3] Petit démon malicieux.
[4] Vases.
[5] Au Moyen-Age, sous le nom d’incube (du latin incubus) le cauchemar était un diable tourmenteur nocturne.
[6] Tyrannique.
[7] Au sens de : moqueur et rebelle.
[8] Le général et consul romain Caius Marius, à la fin de sa vie en – 88, proscrit par le Sénat, fuit Rome et se cache dans le marécage de Minturnes où il sera capturé.
[9] Emettant.
[10] Archaïsme pour pensées.
[11] Au sens de : rythmés, harmonieux, cadencés, mesurés.
[12] Mythologie grecque : signifiant « le brillant », il est le dieu du soleil (Apollon dans la mythologie romaine), des arts et de la poésie.
[13] Mythologie grecque : dieu de la fécondité et de la nature, protecteur des bergers et des troupeaux.