Ô muse de mon cœur, amante [1] des palais,
Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées [2],
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison [3] pour chauffer tes deux pieds violets ?
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées [4]
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l’or des voûtes azurées ?
Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Comme un enfant de chœur, jouer de l’encensoir [5],
Chanter des Te Deum [6] auxquels tu ne crois guères,
Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas [7]
Et ton rire trempé de pleurs qu’on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire [8].
[2] Mythologie grecque : Borée, fils d’Éos et d’Astréos, personnification du vent du nord.
[3] Reste d’un morceau de bois, d’une bûche dont une partie a brûlé.
[4] Sans doute au sens de : marquées par le froid.
[5] Encenser au sens figuré : flatter excessivement.
[6] Cantique de l’Église catholique, qui se chante pour rendre grâce à Dieu d’une victoire ou de tout autre événement heureux ; l’expression complète est en latin : Te Deum laudamus (Nous te louons, ô Dieu), ici au sens figuré et ironique.
[7] Vieilli : attraits, charmes (spécialement d’une femme).
[8] « épanouir la rate » : expression ancienne pour « faire rire » – vulgaire : le commun des hommes.