Spleen et idéal : XXXVII – LE POSSÉDÉ

Le soleil s’est couvert d’un crêpe [1]. Comme lui,
Ô Lune de ma vie [2] ! emmitoufle-toi d’ombre ;
Dors ou fume à ton gré ; sois muette, sois sombre,
Et plonge tout entière au gouffre de l’Ennui ;

Je t’aime ainsi ! Pourtant, si tu veux aujourd’hui,
Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre,
Te pavaner [3] aux lieux que la Folie encombre [4],
C’est bien ! Charmant poignard, jaillis de ton étui !

Allume ta prunelle à la flamme des lustres !
Allume le désir dans les regards des rustres [5] !
Tout de toi m’est plaisir, morbide [6] ou pétulant [7] ;

Sois ce que tu voudras, nuit noire, rouge aurore ;
Il n’est pas une fibre en tout mon corps tremblant
Qui ne crie : Ô mon cher Belzébuth [8], je t’adore ! [9]

Georges Chelon 1997

Le Diable amoureux de Jacques Cazotte

[1] Tissu ou bandeau noir qu’on portait en signe de deuil.
[2] Encore une évocation de Jeanne Duval.
[3] Marcher avec ostentation.
[4] Dans des endroits de folle fête très fréquentés.
[5] Personnages grossiers.
[6] Maladif, triste.
[7] Vif, joyeux, exubérant.
[8] Dénomination du Diable.
[9] Citation du roman fantastique Le Diable amoureux de Jacques Cazotte, publié en 1772.