Au pays parfumé que le soleil caresse,
J’ai connu, sous un dais [1] d’arbres tout empourprés
Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse,
Une dame créole aux charmes ignorés.
Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse [2]
A dans le cou des airs noblement maniérés ;
Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,
Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.
Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,
Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,
Belle digne d’orner les antiques manoirs,
Vous feriez, à l’abri des ombreuses retraites,
Germer mille sonnets dans le cœur des poëtes,
Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs [3].
Georges Chelon 1997
Cécily, créole des Mystères de Paris d’Eugène Sue
CRÉOLE Personne blanche d’ascendance européenne, mais originaire des colonies. Par extension, personne native de ces régions, quelle que soit son ascendance. Il est probable que ce poème s’adressait à Emmelina Autard de Bragard, épouse d’une relation de Baudelaire à La Réunion.
[2] On pourra rapprocher cette évocation sensuelle d’une créole de celle de Cecily, longuement décrite de façon beaucoup plus érotique par Eugène Sue dans Les Mystères de Paris (3ème partie chapitre XXV), roman ayant connu un immense succès et que Baudelaire avait lu puisque paru en 1843.
[3] Vu les pratiques coloniales, il faut comprendre vos domestiques noirs.