Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe [1],
Loin du noir océan de l’immonde cité,
Vers un autre océan où la splendeur éclate,
Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ?
Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe ?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs !
Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse
Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs,
De cette fonction sublime de berceuse ?
La mer, la vaste mer, console nos labeurs !
Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate [2] !
Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs !
— Est-il vrai que parfois le triste cœur d’Agathe
Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs,
Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ?
Comme vous êtes loin, paradis parfumé,
Où sous un clair azur tout n’est qu’amour et joie,
Où tout ce que l’on aime est digne d’être aimé,
Où dans la volupté [3] pure le cœur se noie !
Comme vous êtes loin, paradis parfumé !
Mais le vert paradis des amours enfantines,
Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,
Les violons vibrant derrière les collines,
Avec les brocs [4] de vin, le soir, dans les bosquets,
— Mais le vert paradis des amours enfantines,
L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs [5],
Est-il déjà plus loin que l’Inde ou que la Chine [6] ?
Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,
Et l’animer encor d’une voix argentine [7],
L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ?
Léo Ferré 1967
Georges Chelon 1997