Amina bondit, – fuit, – puis voltige et sourit ;
Le Welche [1] dit : « Tout ça, pour moi, c’est du prâcrit [2] ;
Je ne connais, en fait de nymphes [3] bocagères [4],
Que celle de Montagne-aux-Herbes-potagères [5]. »
Du bout de son pied fin et de son œil qui rit,
Amina verse à flots le délire et l’esprit ;
Le Welche dit : « Fuyez, délices mensongères !
Mon épouse n’a pas ces allures légères. »
Vous ignorez, sylphide [6] au jarret triomphant,
Qui voulez enseigner la walse [7] à l’éléphant,
Au hibou la gaieté, le rire à la cigogne,
Que sur la grâce en feu le Welche dit : « Haro [8] ! »
Et que le doux Bacchus [9] lui versant du bourgogne,
Le monstre répondrait : « J’aime mieux le faro [10] ! »
[1] Welche : terme péjoratif que les Allemands utilisaient pour désigner leurs voisins étrangers ne parlant pas une langue germanique. Baudelaire qui déteste les Belges leur décerne ce sobriquet.
[2] Ensemble de langues et dialectes de l’Inde ancienne, donc inintelligible pour ce personnage.
[3] Mythologie gréco-latine : divinités des fleuves, des bois, des montagnes, par extension en poésie : jeunes femmes belles et bien faites.
[4] Des bocages.
[5] Grande rue de Bruxelles.
[6] Dans les légendes celtes et germaniques, génie aérien féminin plein de grâce.
[7] Graphie de la valse en welche.
[8] Vieille interjection : manifestation bruyante d’hostilité contre quelqu’un.
[9] Dieu romain du vin correspondant au Dionysos de la mythologie grecque.
[10] Bière traditionnelle belge, que Baudelaire ne semble pas donc tenir en haute estime.