Comment te protéger quand tu es un gamin de 12 ans et que ton père est un salaud, mytho et psychopathe ? L’instinct de vie y pourvoit en t’obligeant à l’aimer et le croire, un peu, beaucoup ; suffisamment pour ne pas briser ton univers d’enfant, mais pas totalement pour ne pas te compromettre irrémédiablement dans sa folie furieuse.
Tel est le thème du roman de Sorj Chalandon, auteur dont je lis depuis longtemps non seulement les livres qui ont obtenu plusieurs prix, mais ses articles culturels dans mon hebdo préféré, Le Canard enchaîné.
Le roman est bouleversant par la manière dont il décrit cette enfance, dans les années 60, saturée d’admiration pour ce père qui fut un héros de la Seconde Guerre Mondiale, ceinture noire de judo, parachutiste, footballeur, espion du temps de Kennedy, conseiller du général de Gaulle qui l’a trahit, et donc présentement dirigeant de l’OAS préparant l’assassinat vengeur de De Gaulle afin de rendre l’Algérie à la France.
Et ce maboul implique son fils Emile dans son délire : exercices de talkie-walkie dans les rues de Lyon, entraînement au pistolet, portage de courriers secrets.
Tant qu’il n’y a pas passage à l’acte on en rit… sauf qu’il y a le revers autrement plus noir de la médaille paternelle : violences, coups, armoire où pour des fautes imaginaires le gamin est enfermé des heures sans dormir ni manger, enfermé aussi derrière les volets clos du cercle familial puisque le psychopathe a besoin de soustraire sa famille aux réalités de la vraie vie ; et pour qu’il n’y ai pas d’issue parentale, totale soumission terrorisée de Denise la mère.
Alors évidemment j’attendais avec intérêt de voir comment le réalisateur Jean-Pierre Améris allait transposer à l’écran une tragi-comédie aussi sombre et étouffante, ce cauchemar oppressant.
Je dirai que le pari est presque totalement réussi. Presque, parce qu’il m’a semblé que, pour répondre sans doute à un besoin d’air et de lumière et aussi à son tempérament propre, Améris a rendu le film un peu moins noir que le roman ; mais cela ne gâte presque rien.
Et puis il y a les acteurs : Benoît Poelvoorde impressionnant dans le rôle d’André Choulans le père psychotique au complotisme délirant ; Audrey Dana dans celui de Denise l’épouse sidérée ; Jules Lefebvre dans la peau d’Emile enfant et aussi Nicolas Bridet dans celui d’Emile adulte.
29 juillet 2021