On ne cessait de m’égrener de bonnes raisons d’aller voir ce film : un film gothic, un thriller, un slasher, un teen-movie et c’était pour moi autant de mauvaises raisons d’y aller.
Ou de bonnes raisons, oui… mais de n’y aller point : j’apprécie très modérément le cinéma fantastique, les films à suspense souvent peinent à exciter ma curiosité ; quant au film slasher je connaissais même pas le terme (courant paraît-il depuis 30 ans !) qui veut dire surineur, sanglant : donc j’abhorre ; et les films pour ados me font gentiment sourire et discrètement bailler. Et par-dessus tout l’invasion de notre langue par l’anglo-américain branché m’agace au plus haut point.
Bref, je décidai de n’y aller point et m’y rendis quand même, mais à reculons, uniquement parce qu’on m’informa que c’était un film brésilien, réalisé par une Brésilienne, sur la jeunesse du Brésil et dans un style cinématographique « nouvelle vague », Nova Vaga.
Alors, bon, carré dans un fauteuil de bout d’allée, afin de pouvoir m’exfiltrer en ultime recours, j’attendis les premières images, crispé comme un extravagant.
Et nous voici transportés à Barra da Tijuca à l’ouest de Rio de Janeiro. Sa plage, 18 km ! Son architecture : l’un des quartiers récents de Rio qui ressemble à Miami, donc pas du tout typique du Brésil que je crois aimer. Son hyperconsommation, contaminée elle-aussi directement des USA avec d’ailleurs un New York City Center, doté d’une inévitable réplique de la statue de la Liberté et l’invasion éhontée d’intitulés yankees : Barra Business Center, Barra Prime Office, Barra Space Center…. Tout pour (me dé) plaire.
Au moins le film est instructif ; je n’irai pas à Barra, et surtout pas y dîner : fast food, rien que fast food, au milieu des condominiums. Les condominiums ? Des résidences fermées, sécurisées, composées d’appartements luxueux, pourvues de tout ce qui permet à leurs habitants de sortir le moins possible. Sage précaution puisque la criminalité flambe à Barra.
Et c’est justement cela que le film souligne : une vague de meurtres tourmente un groupe d’adolescentes. Mate-me por favor signifie Tue-moi s’il te plaît en brésilien, et cela caractérise l’attitude de ces filles à la fois apeurées et fascinées par le sexe, la mort, leurs incessants selfies et aussi Jésus, le Cristo Redentor qui les bénit du haut de son Corcovado.
Très vite on s’aperçoit qu’Anita Rocha da Silveira maitrise magnifiquement son sujet et livre un vibrant portrait de l’adolescence, entre mystères, troubles et affection. Les actrices sont épatantes : Valentina Herszage, Dora Freind, Mariana Oliveira, Julia Roliz…
Cette bande de filles est en proie, dans son contexte carioca, à ce que l’on connaît chez nous et peut-être partout : la naïveté, les bravades, l’inaptitude à se représenter vraiment la mort, en tout cas pas la sienne, une effronterie sans peur et sans reproche, avec une fluctuation esthétique qui balance entre la noirceur et le fluo un peu sucré.
Sympathique, attachant, drôle, hilarant et néanmoins inquiétant ce film et la réalité qu’il montre : comment va mûrir cette jeunesse, pas celles des hyper-friqués, ni d’ailleurs celle des favelas, mais celle de l’entre-deux déjanté des quartiers mondialisés.
31 mars 2017