Explorant avant-hier la zone Private VIP du IYCA (International Yacht Club of Antibes), à mes risques et périls mais guidé par un capitaine au long cours en retraite (sinon en reposance) qui a bourlingué sur tous les rivages de la Côte des Pirates (je veux dire la Côte d’Azur des milliardaires), je tombai en extase devant le plus grand, le plus beau yacht : coque bleu pastel, bastingage acajou, accastillage cuivre, platine et or exclusivement : le Madame GU, 99 mètres.
Mon guide, flibustier balafré et investigateur chevronné, en sait tout de ce rafiot : v’là pas qu’y m’dit que ce ça m’suffit appartient à un oligarque russe, qu’il bat pavillon des Bahamas et qu’à un million d’euros du mètre linéaire il vaut donc dans les 99 millions d’euros. Et qu’il serait à vendre.
De retour au bercail dans ma suite somptueuse de 45 m2, je m’empresse de consulter le dernier avis de situation de ma banque : comptes, placements, LDD, PEL, CEL, titres, assurance vie et tutti quanti.
Puis j’entre en négociation immédiate avec le Luxury Yacht skilled salesman du port d’Antibes… Je dois faire vite si je veux me pavaner en baie de Cannes dès le 13 mai, pour l’ouverture du Festival
Oui mais mauvaise pioche : en se renseignant, mon guide, meilleur navigateur qu’investigateur, avait eu tout faux :
- Le Madame GU, enregistré IMO 1011331 et MMSI 319906000, navigue sous le drapeau des Cayman Islands ;
- Le Madame GU ne saurait être négocié à moins de 487 millions d’euros ;
- Andrei Skoch, le Russe propriétaire putatif, avait publié il y a déjà deux ans un communiqué indigné démentant qu’il soit owner de ce boat-people. En fait, l’esquif appartient à une Vice-présidente du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire (populaire !) de Chine, Mme Gu, finalement. C’est la lutte finale, clamions-nous hier dans les maigres défilés syndicaux.
J’ai donc prié mon banquier d’oublier mon courriel du matin et de s’abstenir de casser tout de suite mon PEL.
Je termine la journée en songeant que Gu, c’est aussi une gamme de desserts, cheesecakes et mousses, excellents mais un peu chers : 2€ le ramequin. L’une de mes filles en raffole au point d’en consommer deux chaque jour. En économisant, en s’en privant pendant 333 000 ans, elle pourrait m’offrir le Madame GU.
2 mai 2015