2015 04 21 : Naufrages

Les milliers de migrants noyés en quelques semaines en mer Méditerranée (Mare nostrum ; notre mer, sinistre ironie de l’appellation !) semblent avoir enfin incité les médias à donner à cette question l’importance qu’elle nécessite.

Mais beaucoup de ces médias affirment qu’il s’agit d’un drame nouveau, induit par les récentes guerres civiles en Lybie et en Syrie [1]. Les coupables sont donc les autres, ceux-là, ces états et entités baasiste et islamiste qui terrifient une partie de leurs populations et la poussent à fuir en risquant sa vie.

Un drame nouveau ? Affirmation fausse, car il y a sept ans, en 2008 donc, je me hasardais déjà à évoquer les 5 800 noyés :

http://dominique-mathis.eu/?p=210

Or je n’étais évidemment ni le premier informé, ni le mieux documenté, ni le plus convaincant à évoquer l’indifférence et la passivité de nos pays alors qu’il y avait déjà 5 800 noyés annuels. Pas tous en Méditerranée certes ; et ce n’étaient alors pas des Moyen-orientaux mais des Africains ; mais aventurés vers la même destination, vers le même espoir : l’Europe salvatrice…

En sept ans quasiment rien n’a été fait, pire : le budget des opérations de sauvegarde en Méditerranée, Mare nostrum en 2014, puis Triton en 2015, a été réduit de 100 millions à 36 millions [2]. Ordre de grandeur ? A peine davantage que le budget de la ville de Tulle, à peine un tiers de celui de la ville de Neuilly-sur-Seine, deux exemples pris évidemment totalement au hasard.

Cette « Union » européenne fait donc elle aussi naufrage, incapable même d’aider la digne et humaine Italie, pourtant l’un de ses membres fondateurs (le traité de Rome !).

En sept ans donc la tragédie a empiré. Durant ces sept années pourtant, l’Union avait su être réactive… quand elle l’avait voulu, et à une échelle totalement différente. Pour sauver les banques du chavirage elle leur a délivré ou prêté 1 600 milliards en 2008 [3] ; pour préserver les états de l’échouage, elle vient de débloquer 1 000 milliards.

En toile de fond de ce double désastre, naufrage d’hommes, femmes et enfants, naufrage des démocraties, monte le spectre du néofascisme qui progresse un peu partout en Union (comment pourrait-il en être autrement vu la manière dont on nous présente le danger migratoire ?). D’autant que ce néofascisme sait se vêtir d’habits neufs et ranger le grand-père fouettard au musée Grévin du pétainisme et du négationnisme…

Pendant ce temps nos chambres débattent et nos corporatismes s’écharpent sur un projet de loi santé publique…

La santé publique ? Elle n’est pas qu’hexagonale et seulement vouée à combattre des microbes et des épidémies ou endémies ; elle consiste aussi à sauver des vies menacées par les désordres partout dans le monde. Quant à sauver l’honneur, il est déjà bien tard, seules les ONG s’y emploient admirablement mais en proportion de leurs moyens…

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[1] J’entendais même hier sur une radio, que par décence je ne nommerai pas,  une journaliste exposer que ce drame était une question « émergente ». Le mot qu’il fallait !

[2] http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/20/migrants-en-mediterranee-qu-est-ce-que-l-operation-triton_4619129_4355770.html

[3] http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/les-etats-europeens-ont-verse-1600-milliards-d-euros-d-aides-aux-banques-depuis-la-crise_1324825.html