Préparant ses valises pour le séjour estival d’usage, chacun d’entre nous met un peu d’ordre dans ses bouquins afin de choisir les quelques-uns qu’il emportera. Ce faisant, je m’aperçois piteusement que j’ai laissé traîner, sans les commenter ici, quelques articles de revues littéraires ou d’opinion, lesquelles, signe des temps, consacrent une pagination de plus en plus large aux questions de santé.
Le débat, dans son n° 178, livrait un bel article de Véronique Fournier Contre le « mal mourir », laquelle dirige le Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin.
Les sous-titres et intertitres de son texte résument assez exactement son propos : La loi Leonetti ne suffit pas – Les effets inattendus de la loi Leonetti – La nécessité d’un nouveau débat public sur la fin de vie – Abandonner la distinction entre le « laisser mourir » et « faire mourir » – Assumer l’intention de mort, ainsi que la demande de faire mourir – Signifier que l’avis du patient prévaut sur tout autre – Revisiter et revaloriser la notion de directive anticipée – La question de la mort anticipée ou du suicide assisté.
Dans Commentaire n° 145, tout autre sujet : l’économie de la santé. Et deux articles apportent un éclairage à mon avis significativement inquiétant.
Le premier, signé de Jérôme Fourquet : Dépenses publiques – L’opinion a basculé, montre clairement que la doctrine libérale, foncièrement hostile à l’intervention de l’Etat hors de la sphère qu’elle estime régalienne (police, justice, armée, affaires étrangères), est adversaire tout aussi foncièrement à la moindre esquisse même timide de solidarité nationale (contrat social français, Etat-providence bismarckien, social-démocratie, capitalisme rhénan, keynésianisme, travaillisme beveridgien…).
Bref, pour traiter (ou plutôt accompagner) les misères et les disparités il y a la charité, et pour les clientèles solvables l’assurance privée. Oui, chacun pour soi et la voiture-balai pour les éclopés. Cette idéologie, qu’on croyait disqualifiée après la crise de 2008, vient donc de remporter une nouvelle victoire idéologique grâce aux politiciens, experts et médias venus presque tous docilement à son secours.
Le deuxième, d’Antoine Jeancourt-Galignani : Le lancinant déficit de l’Assurance maladie, participe à cette offensive idéologique au long cours du libéralisme, puisqu’après avoir dressé habilement le tableau du déficit de la sécurité sociale, il formule immédiatement et sans complexe sa solution : partager largement la couverture des dépenses de santé avec l’assurance privée.
Il est utile de lire régulièrement des thèses aussi franchement exposées, pour se rappeler (ce que je dis depuis plus de dix ans) qu’il ne sert à rien de crier au loup uniquement contre la privatisation fantasmée de l’hôpital public.
Car le danger mortel ne vient pas des réformes – anciennes, récentes ou annoncées – du statut des institutions ou des personnels, paroles verbales de lois verbeuses. Ni des changements prudemment esquissés dans les structures : plus ou moins administrées, plus ou moins autorégulées, plus ou moins reconcentrées (plutôt plus que moins d’ailleurs !). Ni de l’instillation plus ou moins prudentissime de méthodes de gestion nouvelles, voire empruntées au management privé, parfois convaincantes (l’audit et l’analytique), parfois calamiteuses (le PPP). Ni des tant décriées recompositions, concentrations fusions (il est vrai plus ou moins adroites, plus ou moins utiles, et au bénéfice rarement mesuré).
Non, le péril survient, comme toujours en économie, par le cheval de Troie du mode de financement et du financeur, à travers la question : qui paie ? Qui va continuer de payer, donc de peser ? Un allié idéologique de l’hôpital public, la Sécu (avec laquelle nos zizanies sont bien secondaires) ? Ou la finance privée, qui méprise discrètement mais profondément cet hôpital ringard ?
La Revue des Deux Mondes, dans son n° 2014-5, nous apporte, sur un sujet plus léger mais non moins déterminant à long terme, un point de vue jeune et subtilement caustique. Jeune, car il émane d’Henri Dax, diplomate de 27 ans (sans doute un nom de plume) ; subtilement caustique, bien sûr, car au Quai la causticité se doit d’être subtile, comme toute expression en général. Cette subtilité s’applique donc à évoquer Le cœur et les tripes du jeune mandarin.
Le papier s’ouvre par un navrant constat : dans la jeunesse, « le goût du danger a fait place au besoin de stabilité, l’esprit d’entreprise au souci de la sécurité, l’affairisme au fonctionnarisme ». Ce constat fut dressé… en 1937, et par Paul Morand (nous sommes dans La Revue des Deux Mondes, quand même ! Oui ce Morand qui cinq ans plus tard ne choisit pas le goût du danger qu’il exigeait de la jeunesse mais la collaboration la plus crasse et la sécurité en Suisse).
D’où il ressort que l’idée reçue du déclinisme ne l’est pas d’aujourd’hui (Cicéron déjà se lamentait contre une jeunesse avide d’honneurs et non plus de gloire).
Mais la suite de l’article vise à démontrer brillamment que cela n’est pas exact ; que la bravoure, l’altruisme, le dévouement à l’intérêt général et à l’Etat perdurent dans la jeunesse, même si les médias mettent en avant les golden-boys and girls de la finance mondialisée. L’auteur cite en exemple une élite de fonctionnaires du Quai qui, discrètement, forment « une nouvelle génération de Mermoz ». Zeste de corporatisme ? Peut-être pas : vraie modestie de ne parler que de ce qu’il connaît… A lire donc, et à débattre.
Esprit, comme d’habitude, nous gâte :
Dans le n° 405, un remarquable article s’interroge : Quelle place pour la spiritualité dans le soin ? Les auteurs Nicolas Pujol, Guy Jobin et Sadek Beloucif, que l’on connaît bien sûr pour leurs travaux antérieurs sur l’éthique, analysent finement cette délicate question, non pour conclure (conclure quoi ? dans quel sens ?) mais pour proposer quelques balises, car « il existe un risque que l’institution hospitalière fasse peser sur les patients le poids de ses idéaux, en faisant fi de leur altérité et de leur vulnérabilité ».
Le n° 406 quant à lui propose tout un dossier sur Médecine : prédictions à risque. Il comporte six articles, plus intéressants les uns que les autres. S’il fallait n’en retenir qu’un, celui qui nous a le plus impressionné est l’entretien avec le PrArnold Munich, qu’on ne présente plus, et dont la phrase de conclusion devrait être gravée à l’entrée de tous les labos de recherche génétique de France (et de Navarre…) : « Ce sera l’honneur de la médecine que de faire de la génétique un usage humain. Au fond, ce n’est pas l’essor de la technologie qui compte, c’est l’usage, humain ou inhumain, qui sera fait de ce savoir ».
8 juillet 2014